Quand on demande à Farid L’Haoua quelles images de la Marche lui reviennent spontanément en mémoire, sa réponse est contrastée : il y a d’abord la lumière des étapes à Strasbourg et à Nancy, des “arrivées en fanfare avec marche aux flambeaux, dans une ambiance extraordinaire”. Et puis l’ombre de l’assassinat d’Habib Grimzi, défenestré le 14 novembre 1983 dans le train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à l’engagement dans la Légion étrangère. “On a déposé une gerbe de fleurs sur les rails, c’était un moment très fort.”
D’un côté la générosité, la chaleur et l’empathie ; de l’autre le racisme et la violence qui tuent. “Cela illustre vraiment la situation de l’époque.”
Attablé dans un café des Terreaux, non loin de la ludothèque “Croc aux Jeux” dont il est le directeur, Farid L’Haoua se retourne avec une émotion tangible sur cet événement fondateur que fut la Marche. Une marche dans laquelle il est entré tout naturellement, à Vienne, sa ville d’origine. “J’avais 25 ans et je militais depuis quelques années déjà à l’Asti, l’association de solidarité avec les travailleurs immigrés. M’investir dans cette aventure était une évidence. Avec des potes on est allé voir les associations, les syndicats et la mairie de Vienne pour accueillir les marcheurs qui arrivaient de Valence. Puis je les ai accompagnés jusqu’à Lyon — où le rassemblement était d’ailleurs assez décevant par rapport à la capacité de mobilisation —, Grenoble et Chambéry. Là, j’avais l’intention d’arrêter, mais on m’a demandé de rester. Finalement, vu que j’étais un militant aguerri, un peu plus vieux que Toumi, Djamel et les autres, je suis devenu coordinateur et porte-parole.”
Un poste clé qui amène Farid à faire de nombreux allers-retours entre les futures étapes et la Marche. “J’étais chargé de préparer le terrain, de faire en sorte que l’accueil se passe dans les meilleures conditions. Dans l’autre sens, je faisais redescendre vers les marcheurs les interrogations des collectifs qui nous attendaient. C’était un gros boulot. L’étape finale à Paris a été la plus difficile à mettre en place. Il a fallu que je négocie avec les autorités, les partis politiques, les syndicats, les bénévoles. Il fallait aussi organiser le système de transport en bus depuis la province pour la grande manifestation du 3 décembre. J’avais beau être rodé au militantisme, là j’évoluais dans une autre dimension. C’était extrêmement formateur.”
Tous les marcheurs ont vécu ces quelques semaines sur la route entre Marseille et Paris comme une expérience initiatique. “Le soir nous étions accueillis, puis il y avait une déambulation dans la ville étape, et enfin une rencontre-débat. On faisait passer notre message mais nous étions aussi le réceptacle de toutes les doléances. Très hétéroclite au départ, le groupe a trouvé progressivement son homogénéité. On s’est construit mutuellement. On a vu que les espérances de la population pouvaient se retrouver dans nos propres revendications, que les problèmes étaient partagés.”
Les marcheurs découvrent aussi une autre France, celle des campagnes, des villes moyennes. “Toumi Djaïdja et Djamel Atallah disent souvent qu’ils ont appris la géographie française, mais c’est vrai !” Ces scènes de marche le long des routes, protégés de l’hiver par un keffieh palestinien, avec en toile de fond des champs et le clocher d’un village, Farid les saisit avec son petit appareil Yashika qui ne le quitte jamais. Il se fait le témoin privilégié de la Marche. Pressent-il qu’un pan de l’histoire est en train de s’écrire sous ses yeux ? “Je n’irais pas jusque-là mais c’est vrai qu’à partir de Chambéry, quand le mouvement a pris de l’amplitude, j’ai eu le sentiment qu’on était en train de vivre quelque chose d’important.”
De ce “Mai 68 des enfants d’immigrés post-coloniaux”, comme l’a défini le chercheur en sciences politiques Abdellali Hajjat, que reste-t-il aujourd’hui ? Farid L’Haoua hésite sur cette question difficile du bilan. “Je pense que trop de gens ont été laissés sur le carreau, lance-t-il après quelques secondes de réflexion. Même si on peut se féliciter que les crimes racistes aient quasiment disparu, que des enfants de la deuxième ou de la troisième génération connaissent de véritables réussites sociales, il me semble que le bilan est bien maigre. Nous réclamions l’égalité : il suffit de consulter les chiffres en matière de chômage dans les quartiers populaires pour voir qu’on en est loin, très loin. On peut parler de rendez-vous manqué avec l’histoire car je crois que dans l’élan de la Marche, nous aurions pu créer les conditions de l’égalité et de l’émergence d’une communauté nationale qui englobe toutes ses composantes. La faute en revient au moins en partie au renoncement d’un certain nombre d’hommes de gauche, je pense en particulier à François Mitterrand qui n’a pas tenu sa promesse d’octroyer le droit de vote aux étrangers. À l’époque cette mesure aurait fait sens, elle aurait constitué une vraie fenêtre pour la reconnaissance et la réintégration dans la communauté nationale.”
Ce terme de “communauté nationale” revient souvent dans les propos de Farid L’Haoua. “C’est parce que je n’en reconnais aucune autre. J’ai été choqué quand, au moment de la Guerre du Golfe, j’ai entendu pour la première fois le terme de communauté musulmane. Dans un pays qui repose sur la laïcité, c’est quand même parlant. D’un seul coup nous n’étions plus Français, nous étions membres de la communauté musulmane. Et depuis cela ne s’est pas arrangé. Cette lepénisation des esprits, cette pensée qui considère que l’appartenance supposée à l’islam rend impossible le sentiment d’appartenance à la France, a entraîné dans un effet miroir le retrait des enfants de l’immigration de la communauté nationale. C’est gravissime de constater que des enfants de la 3e génération n’arrivent plus à se revendiquer Français. Quand la société te renvoie le racisme à tous les étages et une vision caricaturale de ton héritage culturel, c’est dur de se sentir membre à part entière de la communauté nationale.”
Exposition
“La Marche – Inside”
Passionné de photographie dès l’adolescence, Farid L’Haoua était muni de son inséparable Yashika quand il a rejoint la Marche pour l’égalité et contre le racisme à la hauteur de Vienne, sa ville d’origine. Jusqu’à l’apothéose du 3 décembre 1983, à Paris, il prendra quelque 300 clichés. Un regard privilégié, de l’intérieur, sur une aventure collective extraordinaire. Une partie de ces photos est exposée à la médiathèque Lucie-Aubrac jusqu’au 7 décembre. Une inauguration est prévue ce vendredi 25 octobre, en présence de l’auteur.
Le travail photographique de Farid L’Haoua devrait également faire l’objet d’un livre “La Marche – Inside” à paraître en décembre.
Marie Rodriguez
28 octobre 2013 à 15 h 41 min
Mais Messieurs Farid, Toumi and co, être maghrébin, ce n’est pas appartenir à une race. Certes dans le Maghreb , il y a des habitants de race noire, mais vous vous appartenez à la race blanche.
A force d’écouter les sociologues de supermarché, vous vous êtes créer une appartenance qui n’en est pas la votre !
Marie Rodriguez
28 octobre 2013 à 15 h 41 min
Mais Messieurs Farid, Toumi and co, être maghrébin, ce n’est pas appartenir à une race. Certes dans le Maghreb , il y a des habitants de race noire, mais vous vous appartenez à la race blanche.
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Marie Rodriguez
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