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La tchatche des quartiers s'invite en ville

Qu’on l’appelle argot, langage djeunz ou parler des cités, la tchatche se réinvente sans cesse et gagne en audience. Elle touche désormais toute la jeunesse. Petite immersion au collège Paul-Éluard pour mieux comprendre ce phénomène.

Qu’on l’appelle argot, langage djeunz ou parler des cités, la tchatche se réinvente sans cesse et gagne en audience. Loin de se limiter aux quartiers, boostée par le rap et les réseaux sociaux, elle touche désormais toute la jeunesse. Petite immersion au collège Paul-Éluard pour mieux comprendre ce phénomène.

« Mito ! Je la connais pas c’te go. C’est nawak.” Traduction : “Tu es un menteur, je n’ai jamais rencontré cette fille. Tu dis n’importe quoi.” Sauf à avoir des ados dans son entourage direct, pas évident de suivre une conversation de jeunes aujourd’hui. D’autant que leur vocabulaire évolue à une vitesse déconcertante. D’un mois à l’autre, de nouvelles expressions apparaissent. Les quartiers populaires de Paris, Lyon ou Marseille en sont les rampes de lancement. Mais à la différence de l’argot du siècle dernier, le parler “wesh-wesh” essaime, franchit les périphériques et s’impose dans toute la jeunesse. La Sécurité routière s’en est même récemment emparée dans une campagne pour prévenir les dangers de l’alcool au volant : “Si t’as un Sam, t’as le swag ; si t’as pas de Sam, t’as le seum”, annonce le slogan. Autrement dit : “Si t’as un Sam — le nom du personnage qui conduit et renonce à boire —, t’as la classe ; si t’as pas de Sam, t’as la rage.”
Au collège Paul-Éluard des Minguettes, où la tchatche est omniprésente, évoquer le sujet n’est pas aussi aisé qu’on le croirait. Les ados ont d’abord été réticents à s’ouvrir, comme s’ils voulaient rester discrets sur ce langage bien à eux. À moins qu’il ne s’agisse de pudeur, de respect vis-à-vis des adultes, compte tenu du côté souvent fleuri et cru des mots utilisés. Avec l’aimable collaboration de Sylvia Wong, professeur de français, nous avons dû nous y reprendre à deux fois pour enclencher un échange constructif. Après un fiasco dans une classe de 3e où les ados sont restés muets, une vingtaine d’élèves issus de 4e et de 3e se sont portés volontaires. À commencer par Racki, reine incontestée de la tchatche, qui s’est lancée dans un festival, enchaînant avec le plus grand naturel les « bebs, bebom, boloss, darons, fané, lehssa, mouille, kho, tricard, tiep » et autres étrangetés. À en perdre son latin. « Ben ouais, c’est naturel, ici dans le quartier tout le monde ou presque parle comme ça », affirme-t-elle, presque étonnée qu’on puisse s’en étonner.
Quelques rangs devant, Yassine, un solide gaillard, confirme que le phénomène déborde largement de la cité : « Dans mon club de rugby, pratiquement tous mes potes sont des Français (comprendre de souche) et aucun ne vit dans un quartier, mais je peux vous dire qu’ils parlent tous comme moi. Et même pire des fois ! »
Il y a incontestablement un effet de mode autour de la tchatche. Il n’y a qu’à voir le succès rencontré depuis la rentrée par le site « Les boloss des Belles Lettres », qui revisite les classiques de la littérature française. Voici par exemple le début du résumé de Madame Bovary : « C’est l’histoire d’un keum pas trop bien dans sa peau à l’école il est absent et tout tu sens le malaise en lui il s’appelle charbovary c’est pas le héros de l’histoire mais bon il est assez important tu le vois tout le livre. ensuite il rencontre une petite zouz campagnarde pas dégueulasse elle s’appelle emma c’est elle le héros c’est madame bovary voilà là tu as résolu la première énigme à savoir qui c’est madame bovary ben c’est elle. »

Un facteur d’exclusion sociale ?

Si l’on peut s’amuser que l’argot des cités diffuse sa créativité dans la société, on peut à l’inverse s’inquiéter du fossé qui est en train de se creuser avec le français officiel, dont la maîtrise reste un sésame pour s’insérer socialement et professionnellement. Sylvia Wong et sa collègue Farida Cherifi ont constaté un net appauvrissement du vocabulaire classique dans leurs classes ces dernières années. Une fracture linguistique qui recoupe la fracture géographique et sociale. « Les élèves sont victimes de l’effet ghetto, estime Farida Cherifi. Nous sommes obligées d’expliquer des mots de plus en plus simples. » « Je leur dis souvent qu’ils doivent être capables d’élever leur niveau de langage en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent, ajoute Sylvia Wong. Le manque de maîtrise du français peut être un important facteur d’exclusion sociale. Mais l’usage de l’argot n’est pas la seule cause, il y a aussi l’invasion des nouvelles technologies, le recul de la lecture… « 
Chez la vingtaine d’élèves qui ont accepté de venir causer de la tchatche, ils sont quelques-uns à avoir parfaitement conscience de cet enjeu. Ce sont des primo-arrivants. Irem et Janid, qui viennent respectivement de Turquie et d’Albanie, se disent très intéressés par le sujet, mais confessent qu’ils parlent rarement comme ça. À peine un « wesh » lâché de temps en temps, histoire de ne pas trop détonner. « On préfère se concentrer d’abord sur le français officiel, bien maîtriser cette langue qui est nouvelle pour nous. Après on verra… »
Les autres, eux, ne se posent pas vraiment la question. Comme le soulignait Racki, la tchatche fait partie intégrante de la vie de cité. Ils assurent qu’ils n’ont aucun mal à s’adapter quand ils cherchent un stage professionnel ou qu’ils passent  une épreuve orale. « On sait quand même faire la part des choses, réagit Amélie. Avec nos parents par exemple on parle normalement. »
Certains linguistes, comme Alain Bentolila, estiment pourtant que la proportion de jeunes en France ne parlant que cette langue serait de 10 % à 15 %. Ils dénoncent un ghetto des mots et s’alarment de l’appauvrissement du vocabulaire. D’autres, comme Alain Rey, le premier à avoir introduit un mot des cités – beur – dans un dictionnaire en 1985, y voient au contraire un enrichissement de la langue et une évolution naturelle.

 

Savez-vous tchatcher ?

Voici un aperçu d’expressions fréquemment utilisées. Un glossaire très incomplet et qui peut très vite se démoder.

Affiche : se taper l’affiche,  avoir la honte, attirer l’attention au sens péjoratif.

Bader : angoisser

Bebs : les bebs, c’est-à-dire la police, terme qui a remplacé le démodé keufs.

Bebom : c’est d’la bebom, c’est d’la balle (plus ancien), c’est extraordinaire.

Bédave : fumer.

Belek : faire belek, faire attention.

Boloss : ringard.

Chtar : prison.

Creuvard : égoïste, radin.

Darons : les parents, on dit aussi daron et daronne pour père et mère.

Dossier : s’emploie seul pour dire “la honte !” concernant une information jugée gênante.

Enjailler, s’enjailler : s’amuser.

Fané : tu m’as fané, pour dire tu m’as saoûlé.

Go : femme ou fille, a remplacé le célèbre meuf. On dit aussi une zouz.

Heja : quelque chose.

Hass : mot fourre-tout qui signifie à la fois prison, honte, mais aussi galère, misère.

Kho : se prononce Ro, pour dire mon frère, mon pote.

Lovés : les lovés, l’argent.

Kiffer : apprécier.

Lehssa :  se prononce lèrssa, c’est-à-dire un suiveur, une suiveuse, un individu sans personnalité.

Mito : un mensonge ou un menteur. On peut aussi mitoner.

Mouille : se dit au féminin, une mouille, un peureux, un dégonflé.

Nawak : n’importe quoi.

Racler : se la racler, frimer.

Seum : avoir le seum, être énervé, dégoûté, enragé.

Swag : avoir le swag, le style, la classe.

Tiep : faire tiep, faire pitié.

Tricard : être démasqué, découvert.

Vago : voiture.

1 Commentaire

  1. Le S

    6 novembre 2019 à 18 h 58 min

    Que veux dire l expression »c’est les demi ou alors les pleins phares  »?

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