Le 66e festival de Cannes s’est achevé en attribuant sa plus haute récompense à « La vie d’Adèle (chapitre 1 &2) ». Un beau film qui trouve des échos dans l’actualité.
Nous arrivions en fin de festival, les conversations s’épuisaient sur la météo, les films présentés au démarrage de la compétition s’estompaient dans les mémoires. Dans le grand auditorium du palais, la première séance du matin (8h30) affichait complet comme tous les jours, avec l’ensemble des spectateurs plongé dans la lecture de leurs quotidiens, pour y découvrir l’avis de la presse sur les films projetés la veille. Sur la ligne de « La vie d’Adèle (chapitres 1 & 2) », les palmes d’or (la plus haute distinction donnée par les critiques) flottaient les unes à côté des autres. Cette unanimité fit que, lors de la projection du film d’Abdellatif Kechiche aux « Séances du lendemain », les files d’attente (autant celle de la presse que des autres accrédités) battaient des records d’affluence.
Palme annoncée certes mais largement méritée, d’autant plus que le jury présidé par Steven Spielberg a choisi de la décerner autant au film qu’à son réalisateur et à ses deux principales (et magnifiques) interprètes, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux.
Cette histoire d’amour entre deux femmes, filmée jusque dans ses scènes de sexe, dépasse très largement son sujet. Certes Kechiche aborde de front le thème de l’homosexualité mais il procède également à une coupe quasi géologique de la société française, avec ses différentes couches qui ne s’interpénètrent pas forcément. Il évoque la jeunesse, l’apprentissage d’un métier, la création artistique, les bobos et les prolos, le quotidien, l’usure de l’amour, le désir, les préjugés, nous embarque pendant trois heures dans ces deux chapitres de la vie d’une jeune femme au cours desquelles on ne s’ennuie jamais. Outre la qualité de l’interprétation, il faut mettre en avant la fluidité de Kechiche dans sa manière de filmer : dès les premiers plans, Adèle court après son bus, est dedans le bus, arrive au lycée, est dans la salle de classe, etc. Par une série de courtes ellipses, le cinéaste saisit la monotonie du quotidien, rendant du coup plus fort les moments où le récit se suspend, prend son temps.
Important tout autant d’un point de vue cinématographique que sociologique, « La vie d’Adèle », au moment où il recevait sa Palme d’or, est venu se télescoper à la réalité de la rue. Tandis que, ravis, Abdellatif Kechiche, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos brandissaient leur récompense à Cannes, place des Invalides à Paris, des milliers de personnes clamaient leur mécontentement, refusant une évolution de la société que le film nous présentait comme acquise. Non, il n’est pas question de mariage pour tous dans « La vie d’Adèle » mais l’homosexualité y est complètement naturelle, ni provocatrice ni banalisée, simplement montrée pour ce qu’elle est : une histoire d’amour. La sortie de ce film est prévue pour le 9 octobre.
Que le jury qui a fait un tel choix soit présidé par Steven Spielberg est encore plus rassurant. Le cinéaste américain aurait pu guider ses jurés vers un choix similaire mais sans doute plus conforme à la vision américaine : « Behind the Candelabra » (« Ma vie avec Liberace ») de Steven Soderbergh, qui met en scène les amours tumultueuses (et encore homosexuelles) entre un jeune homme et une vedette de Las Vegas (Liberace, pas très connu en France mais véritable phénomène pendant plusieurs décennies aux États-Unis). Le film vaut surtout pour l’interprétation étonnante de Michael Douglas et Matt Damon, à qui beaucoup prédisaient un prix. Ils ont été doublés par Bruce Dern, également très bon dans le rôle du vieux père de « Nebraska » (un film d’Alexander Payne malgré tout trop classique pour emporter une complète adhésion).