“J’ai toujours eu un pot insolent ! Je suis passé à travers et j’étais sûr de ma chance.” Au fur et à mesure que Roger Gaget, 90 ans, co-président de l’ANACR du Rhône, raconte sa vie de résistant, on comprend mieux ce qu’il veut dire. Il évoque ces trois journées passées dans les bois sans manger ni boire, au point que sa langue se met à gonfler en raison du manque d’eau. Et cette nuit, où il arpente les trottoirs d’une ville à l’heure du couvre-feu. Un garde allemand le voit arriver, cela va mal tourner. Mais Marcel est vêtu d’un imperméable noir qu’on lui a prêté et l’Allemand, le prenant pour un milicien, le laisse filer. Et aussi cette blessure causée par une grenade à manche qui lui laisse une quarantaine d’éclats de fer-blanc dans la tête…
“Nous étions une trentaine dans mon groupe de résistants. Un tiers en est revenu. J’ai toujours été volontaire pour monter des coups. J’aimais mieux attaquer que d’être attaqué !”
Roger Gaget habite Tarare à la déclaration de la Seconde guerre mondiale. “J’avais perdu mon père à l’âge de 5 ans. En 1940, j’ai 17 ans et je dois quitter l’école pour gagner ma vie. Je suis devenu facteur sur une tournée de campagne. C’était l’Amérique ! On me donnait des œufs, des poules, des canards, des saucissons. Je nourrissais ma famille, j’étais heureux et je faisais la java.”
Le 11 novembre 1942, tout change. Alors que, sur le front Est, la bataille de Stalingrad fait rage, les Allemands envahissent la zone libre. “Dans le centre de Tarare, je regardais passer les automitrailleuses. À côté de moi, un vieux bonhomme tendait son poing aux Boches en criant “Les Russes vous battront !” J’avais 19 ans, j’étais en pleine forme et je restais là, ébahi, alors que lui n’avait pas peur. S’il n’avait pas été aussi vieux, il y a longtemps qu’il serait parti rejoindre le maquis. J’ai eu un regain de patriotisme : il faut que tu t’engages !”
En mars 1943, Roger Gaget est incorporé dans un chantier de jeunesse à Cogny, dans le Beaujolais. Depuis 1940 en effet, les jeunes hommes en âge d’accomplir leurs obligations militaires y sont envoyés. “On travaillait dans les champs. J’en avais ras le bol. Un jour, un chef vient me trouver : “C’est vrai que tu veux partir ? Tu vas déserter et rejoindre Grenoble et, surtout, emmène ton paquetage !” On était bien équipés, dans les chantiers de jeunesse.”
À Grenoble, Roger suit les consignes. Avec, dans la main gauche “Le Nouvelliste”, un journal collabo, il attend. Quelqu’un l’aborde et le conduit vers Pontcharra. “Je me retrouve avec sept ou huit gars dans une cabane dans la montagne, où il n’y a rien. On mange des pommes, on arrive à cabosser un agneau. J’y suis resté quelques jours avant de descendre au PC. J’ai été incorporé au maquis dans la région de Saint-Claude. On m’a dit : “Tu vas perdre ton identité et te choisir un nom de guerre.” Je suis devenu “Robin”, parce qu’on était dans les bois. Parti dans le Haut-Jura en liquette (on m’avait fauché mon paquetage), je me suis retrouvé infirmier du camp. J’y ai revu des garçons des chantiers de jeunesse.”
La création en 1942 du S.T.O. -le service du travail obligatoire- gonfle les effectifs de la Résistance, nombre de jeunes préférant rejoindre le maquis plutôt que de partir travailler en Allemagne. “Nous n’avions pas d’armes, les parachutages, c’était tous les 36 du mois. Bouffer du Boche m’intéressait. Je suis entré dans un groupe franc pour monter des opérations de ravitaillement et mener les actions les plus dangereuses. L’hiver était rude. Décembre dans le Haut-Jura, c’est pas la Côte d’Azur.
“Les chantiers de jeunesse étaient des lieux de bonne ressource. D’autant qu’il n’y avait pas d’armes. Une nuit, nous avons coupé les lignes téléphoniques et nous sommes entrés dans le camp. Je fais partie du groupe chargé d’immobiliser ceux qui sont dans la salle de garde, tandis que les autres doivent piquer tout ce qu’ils trouvent : camions, side-cars, vélos, nourriture, chaussures, blousons de cuir, etc. Nous allons dans la salle de garde : “C’est le maquis, bougez pas ! On va vous attacher pour montrer que vous vous êtes défendus, comme cela vous ne serez pas inquiétés après notre départ.” On laisse un gars avec la seule mitraillette que possédait notre groupe, une Sten. De temps en temps, il sort, passe la Sten à un autre qui entre à son tour dans la salle. Les jeunes ont cru que nous étions armés jusqu’aux dents !”
Les maquisards attaquent les convois en route pour l’Allemagne, récupérant au passage riz, pommes de terre, beurre, café et, une fois… 7 tonnes de gruyère. “Nous étions aidés par les paysans. En échange, on leur donnait des bons de réquisition qu’ils pouvaient se faire rembourser. La population du Jura nous soutenait, elle était très patriote.”
En mars 1944, les Allemands voyant l’importance prise par les maquis, chargent les GMR (groupes mobiles de réserve, qui appartiennent à la police pétainiste) de les déloger. “Ils sont restés 48 heures et sont repartis. Ils ont alors été remplacés par la 157e division d’infanterie de la Wehrmacht, stationnée à Grenoble, qui a attaqué notre maquis le 7 avril. Nous avons tenu jusqu’à la nuit. Nous avions plusieurs camps et montions des guet-apens. Le Jura étant favorable à la guérilla, les Allemands n’aimaient pas entrer en forêt. En représailles aux actions de la Résistance, les nazis ont beaucoup brûlé autour d’eux et fusillé nombre d’otages civils. Dans un de ces villages martyrisés, près d’Oyonnax, on a retrouvé six de nos camarades, nus, les yeux crevés, la langue arrachée, les testicules coupés. Ils avaient brûlé leurs corps. On a reconnu l’un d’eux grâce à une mèche rousse qui avait échappé au feu. C’était l’horreur !”
Le 6 juin 1944, le débarquement est enfin annoncé. Roger l’apprend par la radio. “On désespérait, on l’attendait depuis un an. Nous avons reçu l’ordre d’occuper le territoire et d’immobiliser les Allemands pour empêcher qu’ils remontent vers les têtes de pont des Anglais et des Américains. Nous avons souvent mené des combats en face à face. Les Allemands étaient très équipés. C’est là, pendant l’attaque d’un poste, que j’ai reçu une grenade à manche à 30 cm de la tête.”
Roger est ensuite envoyé dans le Doubs pour encadrer les nouveaux venus qui rejoignent les partisans. En juillet 1944, les troupes allemandes sont renforcées par l’armée Vlassov, composée de volontaires russes équipés par la Wehrmacht. À Valdahon, commune de ce département, Roger prend la tête d’un groupe d’Ukrainiens échappés de cette armée. “Ils avaient pris contact avec des Russes blancs qui étaient dans le village en leur disant qu’ils voulaient se débarrasser des SS qui les encadraient. On leur a passé une consigne : “Liquidez vos gardiens et courez dans la nature avec tout ce que vous pouvez emporter. On vous récupérera.” Ils sont partis avec 80 chevaux, un canon antichar, un mortier, des équipements complets de combat… On a formé un bataillon FFI avec ces gens-là, qui avaient conservé leurs uniformes verts. Ils se sont habillés en civils ou ont retourné leurs vestes, en y apposant un brassard. Nous-mêmes, nous n’avions plus rien. Je portais une chemise, un pantalon de Schleuh et des bottes allemandes. On a guerroyé assez longtemps avec eux. L’armée d’Afrique du Nord avait débarqué à Golfe Juan mais la logistique ne suivait pas. Ils étaient en panne derrière nous, qui tenions 14 km de front.”
Paris est libéré lorsque l’ambassade soviétique demande que les soldats russes sortent du combat pour revenir en URSS. “Ce fut un drame. Certains ont déserté. On m’a alors donné pour mission de descendre à Marseille avec le reste du bataillon. Un accord tacite avec la Légion étrangère leur a permis de s’engager. Ensuite, j’ai été affecté à Dijon, au 5e Bureau (service de contre-espionnage).”
La guerre est terminée. Roger s’est marié et attend son premier enfant, Monique, qui deviendra plus tard directrice de la Sacoviv. Il reprend la vie civile, “pédale dans la choucroute pendant quelque temps”, avant d’entamer une carrière de commercial.
Conscient de l’importance de transmettre les témoignages des résistants, Roger Gaget a multiplié les rencontres, notamment au CHRD de Lyon, en espérant que des associations telles que les Amis de la Résistance soient vivifiées par l’apport de jeunes. Il espère aussi que le 27 mai sera prochainement décrété journée nationale de la Résistance, comme le Sénat l’a voté fin mars. C’est en effet le 27 mai 1943 que les organisations de la résistance intérieure, réunies clandestinement à Paris sous la présidence de Jean Moulin, créèrent le Conseil national de la Résistance.
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