La citation de Guillaume Paradin, historien lyonnais du XVIe siècle, est inscrite sur la façade vitrée des Archives municipales de Lyon : « Le seul moyen de la longue durée d’une cité florissante sont les archives (…), lesquelles tiennent les citoyens advertis de tout ce qui a passé. » À côté d’une grande exposition sur la famille Morand -celle de Jean-Antoine Morand, l’architecte et ingénieur qui construisit un pont entre les Terreaux et les Brotteaux-, les Archives lyonnaises consacrent jusqu’au printemps 2013 une autre partie de leurs locaux au climat, pour une manifestation sous-titrée « À nos risques et périls ».
Mourad Laangry, responsable des expositions et de l’événementiel aux Archives municipales, explique comment est née cette exposition : « Emmanuel Garnier, qui est chercheur à l’Université de Caen et spécialiste du climat, est venu faire des recherches chez nous. Je lui ai proposé l’idée et il n’imaginait pas la richesse de notre collection. Les Archives gardent des traces de tout ce qui touche à la vie des gens. Depuis six ans, nous avons démarré une grande opération de numérisation qui nous a permis de mettre déjà énormément de documents en ligne : les réglementations d’état civil, les fonds d’affiches, de cartes postales (dont plusieurs sur les inondations), une partie des registres paroissiaux… Nous allons prochainement ajouter les affiches administratives : on en compte plus de 6000. »
Sur les variations climatiques, le fonds est tout aussi important. « Les élus, par exemple, faisaient surveiller la Suisse pour savoir quand une perturbation allait arriver à Lyon. Dans les archives privées, les gens notaient les catastrophes naturelles, leurs conditions de vie, les dégâts subis, les grandes famines, les pestes. Il y a partout trace du climat. »
Mourad Laangry est également un passionné de l’histoire du blé, évidemment liée aux conditions climatiques. « On parle aujourd’hui beaucoup de monopole. Mais ce mot, on le trouve dès le XVIe siècle : les collectivités (au rang local, avec les échevins, ou au rang national) veulent casser le monopole. À Lyon, ils créent ainsi le grenier d’abondance, situé rue de la Grenette, avec ses stocks qui évitent les pénuries. La montée du prix du blé a toujours engendré des révoltes. Pour acheter la paix civile, les autorités ont donc misé sur la constitution d’un stock acheté en Bourgogne, à utiliser en cas de disette. »
« La machecroute, une bestiole imaginaire qui se cache sous le pont de la Guillotière »
Tout en parlant, Mourad Laangry nous montre un plan de 1540 qui fait mention du grenier. Puis une affiche anonyme de 1529, signée « Le Pôvre », qui mentionne une disette. « Les révoltes de famine sont liées au climat, reprend-il. Car quand la Saône gelait, on ne pouvait plus moudre le blé. Les périodes de gel étaient longues et les dégels encore pires. La Saône et le Rhône charriaient des morceaux de glace qui détruisaient les ponts. Le premier à résister fut le pont Morand, au XVIIIe siècle, l’ingénieur ayant installé un système de brise-glace. La vie à Lyon dépend du climat. La Guillotière est automatiquement inondée, d’où la construction de grandes digues – les premières en 1701, n’ont pas résisté. Ces opérations d’endiguement se sont poursuivies jusque dans les années 1930. »
Il désigne au sol une peinture, qui tient autant de la marelle que du jeu de l’oie : en son centre, un animal monstrueux. « C’est la machecroute, une bestiole imaginaire qui se cache sous le pont de La Guillotière. Elle créait les inondations pour dévorer les noyés. Ce sont des histoires qui font peur aux enfants et gravent la mémoire du climat. Nous l’avons placée au centre d’une animation destinées aux jeunes visiteurs. Nous proposons également deux autres jeux avec des questionnaires ludiques. »
La machecroute n’est pas la seule légende fantastique liée au climat. Dans les crues, évoluait aussi le Dragon du Rhône (il reste la dépouille d’un crocodile dans le dôme de l’Hôtel-Dieu). Quant à la Dame blanche, elle sillonnait les pentes de la Croix-Rousse. Si elle vous montrait un verre d’eau, elle annonçait une inondation. Du feu ? C’était signe de grosse chaleur.
Ce qui plaît à Mourad Laangry, et tout autant aux visiteurs, c’est parler du climat à travers la vie des Lyonnais, à grand renfort d’anecdotes. « Lors du grand gel de 1608, les échevins balançaient sur la glace toutes sortes de choses pour la briser, sans résultat. Vint un tailleur, nommé Benoist Besson, qui annonce qu’il peut arrêter le fléau. Il se rend sur le fleuve, allume des mèches partout et libère les glaces. Quand il vient demander son salaire, on l’accuse de sorcellerie. L’Église demande sa pendaison. L’affaire a duré près de six ans et nous possédons sur elle de nombreuses pages. Besson va finir par gagner son procès, au détriment de l’Église. Son histoire nous a fait rire : nous ne pensions pas qu’un pouvoir municipal pouvait accuser quelqu’un de sorcellerie ! Nous avons des traces de plusieurs récits de cette sorte. Tel celui qui retrace l’aventure de Guérin, en 1820 : sauvé de la noyade (on l’a repêché et couvert de peaux de moutons pour le réchauffer), l’homme est allé remercier la Vierge, sous la protection de laquelle se trouve Lyon, et a fait réaliser un ex-voto par un peintre. »
Mourad détaille l’iconographie de l’exposition : des documents purement administratifs depuis le XVe siècle (« mais on peut aller plus loin »), des ex-voto, des enluminures (« la plus ancienne montre un curé exorcisant le fleuve »)… Plus près de nous, des cartes postales, de l’imagerie religieuse et, plus généralement, l’imagerie populaire (« Il existait à Lyon une grande école, à La Guillotière« ), des photographies, une collection importante de plaques de verre, un film Lumière sur une inondation… Certaines sont frappantes, telle cette image de Bellecour inondée, des barques circulant sur la place, datant du 9 novembre 1840. Ou ces photos de crues remontant à 1856.
Il cite également cette affiche de l’archevêque, datée du 31 janvier 1709 : l’autorité religieuse autorise les fidèles à manger de la viande pendant le carême, à cause du froid et du fait que les poissons ne peuvent plus être pêchés dans les eaux prises sous la glace.
Parmi tous les phénomènes climatiques mentionnés aux Archives municipales, il s’en trouve qui résonnent curieusement aujourd’hui. Le volcan islandais Laki, lors de son éruption en 1783, recouvre l’Europe et la France d’odeurs de soufre (l’Eyjafjöll n’a qu’à bien se tenir). « Cela a eu un impact sur le climat et les récoltes, a provoqué des retards agricoles et des famines. A cause de ce nuage, les gens parlaient d’un été sans soleil. Certains disent que le Laki pourrait être considéré comme l’une des causes de la Révolution. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est désigné : le volcan de la Révolution. » Ajoutons qu’Emmanuel Garnier est un spécialiste du Laki.
« Le climat provoque aujourd’hui des débats assez houleux, reprend Mourad Laangry. Nous avons voulu rester neutres et faire un état historique. Nous avons aussi montré les variations entre le climat national et local. Sur les panneaux, le texte en rouge traite exclusivement de Lyon, et celui en noir du climat étudié d’un point de vue national. »
Curieusement, on trouve des dissonances troublantes. Au cours de la seconde moitié du XVe siècle, la France du roi Louis XI est sujette à un grand refroidissement. C’est la grande famine de 1481. Cette même année, les chroniqueurs lyonnais font état des « mourus de chaleur ». À l’entrée, l’avertissement est pourtant clair : les organisateurs ne veulent pas déroger à la chronologie nationale.
L’exposition présente aussi plusieurs appareils de mesure prêtés par MétéoFrance, une carotte géologique réalisée par le service archéologique de la Ville de Lyon (« les archives de la terre »), une frise peinte par Franz Metzger, un artiste contemporain, une animation « très alarmiste » du CEA (qui repousse la fin du monde à 2100, au désespoir de ceux qui la tiennent pour certaine le 21 décembre 2012). Elle offre enfin la satisfaction de quitter la salle beaucoup moins ignare, tant on apprend de détails passionnants. En bref, une expo dont on ne pourra pas dire qu’elle ne nous fait ni chaud ni froid.
« Climat – À nos risques et périls », jusqu’au 30 mars 2013 aux Archives municipales de Lyon (1, place des Archives, Lyon 2). Entrée libre.
Cycle de conférences proposées par les Archives, l’Université de Lyon et L’Université ouverte Lyon 1.
www.archives-lyon.fr
Tél. : 04 78 92 32 50.
Derniers commentaires