C’est par un simple avis de la famille, paru dans le « carnet du jour » du Progrès, jeudi 9 août, que l’on a appris le décès de Paul Berliet, à l’âge de 93 ans. Ses obsèques sont célébrées ce vendredi à Lyon.
Fils de Marius Berliet, fondateur des usines établies depuis 1917 à Vénissieux, Paul Berliet en avait repris les rênes en 1949.
En décembre 2008, ce grand patron avait accordé une longue interview à « Expressions », dans laquelle il revenait sur ses vies d’entrepreneur et d’homme, indissociablement mêlées. Un parcours extra ordinaire, guidé par le souci de l’innovation, du développement industriel et, surtout, de la création d’emplois. On lira également plus loin les réactions, nombreuses, à sa disparition.
Quand Berliet racontait Paul
La figure tutélaire du père, l’entrée comme apprenti dans l’entreprise à 17 ans, la nomination au poste de directeur général des fabrications à l’âge de 24 ans, le procès pour collaboration économique en 1944, la prison, puis le retour aux commandes, l’innovation technique permanente, la création de milliers d’emplois, le développement à l’international, les rencontres avec Deng Xiaoping et Fidel Castro, l’apogée en 1974 avec 24000 employés, avant d’être absorbé par Renault… Un livre n’y suffirait pas. Quand Paul Berliet se retourne sur son passé, c’est naturellement dans le bureau de son père, Marius, qu’il s’était installé, en décembre 2008, pour nous rencontrer. Une petite pièce située à l’entrée de la maison familiale de Montchat, qui abrite désormais la fondation Berliet. “Moi je prends sa place, et vous celle que j’occupais quand j’étais enfant.” Bien monsieur.
L’ameublement et la décoration sont d’époque. Rien ne semble avoir bougé depuis ce jour de 1935 où le jeune Paul et son frère, tout penauds, viennent informer leur père qu’ils ont échoué à l’examen d’entrée de l’école centrale lyonnaise. “On s’est fait taper sur les maths, père.” La réponse sera aussi brève qu’explicite : “Il est 17 heures, vous avez juste le temps d’aller vous acheter une paire de bleus.”
Le lendemain, les deux frères sont affectés au service pièces détachées de l’entreprise familiale, au grade d’apprenti. “J’ai fait mon éducation ouvrière jusqu’à ce que je sorte correctement ma paye. Ensuite, seulement, j’ai commencé à tourner dans les ateliers. Pendant deux ans, j’ai appris les composants généraux du camion. Cela m’a permis d’acquérir ce qui manque souvent aux personnes qui ont des formations supérieures : le savoir-faire manuel. J’ai pu le constater tout au long de ma carrière, en particulier dans le domaine commercial : la compétence de l’ouvrier me donnait des entrées qu’aucun autre patron ne pouvait avoir.”
Quand on l’interroge sur son extraordinaire aventure industrielle, autant que sur son destin personnel, Paul Berliet évoque deux autres épisodes fondateurs : l’école de haute montagne où il effectua son service militaire (“Les guides de Chamonix m’ont appris à ne jamais caler, même dans les pires conditions”) ; et de façon plus inattendue les 40 mois de prison qu’il effectua entre septembre 44 et janvier 48, à la suite de sa condamnation pour collaboration économique. Une accusation que l’entrepreneur a du reste toujours récusée. “Sur moi, ça glisse. Mais je n’admets pas que le souvenir de mon père soit sali. L’entreprise a fonctionné sous la contrainte des Allemands.” La détention fut longue, difficile, surtout sur le plan physique. Mais Paul Berliet l’analyse positivement avec le recul. “Quand ça m’est arrivé, j’avais 24 ans et 3500 gars sous mes ordres. Quand on a autant de pouvoir à un si jeune âge, le risque de devenir insupportable est grand. La prison m’a sans doute rendu plus comestible.”
Mieux, il dit y avoir trouvé le but de son existence : donner du boulot aux autres. “Quand on fréquente des voleurs, on comprend que s’ils sont tombés – je m’excuse du terme – c’est parce qu’ils n’avaient pas d’argent et qu’ils voulaient bien vivre. Or en prison, ils ne pensent qu’à une chose, leur prochain casse. Je n’ai pas les mêmes opinions que celles que l’on professe aujourd’hui sur le rôle de la détention. Un gars sans boulot trouve toujours d’autres moyens d’arriver à ses fins. C’est pour ça que mon obsession a été d’augmenter le nombre de gens employés chez Berliet. Le travail, c’est la solution à tous les problèmes. Faire des discours ou des articles, ça ne sert absolument à rien.” Entendu monsieur.
L’exportateur
De fait, entre les années 50, quand il reprend les rênes de l’entreprise, et 1974, date de l’absorption par la Régie Renault, Berliet voit son effectif passer de 5 000 à 24 000 salariés, dont 12 000 dans la seule usine de Vénissieux ! Outre la création d’emplois, Paul Berliet peut se targuer d’avoir apporté à l’industrie du poids lourd quelques-unes de ses plus grandes innovations. Le Centre d’études et de recherches créé en 1962 à Saint-Priest est une véritable machine à brevets. Jusqu’à 1000 ingénieurs y travaillent. Ils “sortent” le bus à plancher surbaissé et moteur avant (PR 100), le camion à suspensions pneumatiques (Stradair), les cabines avancées (gamme Relax)…
Paul Berliet s’est également révélé un génial exportateur. Le fameux logo de la marque roule alors sur les routes et les pistes du monde entier. Pas seulement vendeur de camions, le constructeur participe à l’industrialisation des pays où il s’implante. L’usine de Rouïba en Algérie en est le meilleur exemple. Au moment de l’indépendance, elle emploie 1 000 personnes. En Chine, Berliet est un précurseur en signant un contrat de fabrication sous licence, assorti de prestations de formation. “Je n’ai jamais considéré les Chinois comme des concurrents, mais comme des clients. Je leur ai tout apporté.” Paul Berliet raconte avec saveur ce moment où Deng Xiaoping – l’homme qui a initié l’ouverture économique du pays- descend de sa tribune un verre à la main, s’avance dans la salle où sont réunis 1500 officiels, pour venir trinquer avec lui. Ou encore cette balade en jeep au côté de Fidel Castro, dans la campagne cubaine : gêné par sa mitraillette pour conduire, “El Comandante” la pose tranquillement sur les genoux de l’entrepreneur qui n’en croit pas ses yeux. “Fidel Castro m’avait confié l’industrialisation du pays, le contrat était signé, mais ensuite tout a capoté parce que la France ne voulait plus acheter de nickel à Cuba.”
L’absorption par la Régie Renault en 1974 le ramène des souvenirs forcément moins agréables. C’est la fin de l’épopée Berliet, et le terme d’une fabuleuse carrière d’entrepreneur. L’homme n’est guère bavard sur le sujet : “Les gens de RVI ont détruit délibérément le passé de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de créer la Fondation, pour sauvegarder l’histoire du camion français.” Merci monsieur.
Gilles Lulla
Précisons que Paul Berliet était officier de la Légion d’Honneur, et commandeur des Arts et Lettres.
Les réactions
Fondation de l’automobile Marius-Berliet :
« Paul Berliet, sa famille, Monique Chapelle et Renault Véhicules Industriels ont créé la Fondation de l’automobile Marius-Berliet en 1982, reconnue d’utilité publique, qui a pour objet la sauvegarde et la valorisation du patrimoine automobile lyonnais et du camion français. Cette mission, accomplie grâce à l’étique et au dynamisme de Paul Berliet, se poursuivra dans le même esprit. »
« Après des études secondaires à Lyon et une phase d’apprentissage maison, Paul Berliet entre en 1936 comme ouvrier dans l’entreprise de son père, les Automobiles Marius Berliet, d’abord à Monplaisir, puis à Vénissieux. Il fait ensuite son service militaire pendant deux ans à Chamonix à l’Ecole de Haute Montagne.
« En 1940, il est chef de l’atelier Fonderie et deviendra ensuite Directeur Général des Fabrications. En 1949, à la mort de son père, il est confirmé comme chef de famille. C’est à cette date que l’Etat Français restitue l’entreprise à la famille Berliet.En 1954, il devient Directeur Général Adjoint et Président Directeur général en 1962 jusqu’à l’entrée de l’entreprise dans le groupe Renault avec la création en 1978 de Renault Véhicules Industriels. Après avoir occupé un poste de Conseiller, il se retire.
« Durant toute son activité chez Berliet, il aimait à le rappeler, il s’efforça de mettre en avant la formation des personnels, les études et la recherche, ainsi que l’industrialisation de pays en voie de développement.
« De 7000 salariés en 1950, l’entreprise Berliet en comptait plus de 25000 en 1978. Dans cette période, sous son impulsion et avec son concours, Berliet mena de grandes expéditions au Tchad et au Ténéré au début des années 60. Il crée des usines au Maroc, en Algérie. Ce sont les années où Paul Berliet est l’interlocuteur de chefs d’Etats pour des contrats inédits (Cuba, Chine) et où il établit des succursales à l’étranger. Sa marque de fabrique : la richesse de la relation humaine, le respect du partenaire, le contact sur le terrain.Expansion à l’étranger, mais aussi en France : il crée l’usine de Bourg-en-Bresse en 1964, l’usine des Ponts à Saint Priest en 1970, ainsi que l’usine de boîtes de vitesses à Andrézieux-Bouthéon.
« Durant ses années à la tête de l’entreprise Berliet, de nombreuses réalisations techniques ont vu le jour, du gigantesque camion T100 spécialisé dans les chantiers sahariens d’exploitation pétrolière au Stradair à suspension pneumatique à hauteur variable, ou encore à l’utilisation de l’injection directe et de la turbocompression à air refroidi. Son sens du développement technique bénéficiait également au transport des personnes avec la division Cars et Bus de l’entreprise.
« Paul Berliet crée la (Fondation Berliet), en janvier 1982, en assure le développement et le rayonnement en qualité de Président jusqu’en 2009, date à laquelle il cède la fonction, en restant Président fondateur.
« Cette Fondation a le double objectif de la sauvegarde de la mémoire de l’automobile de la région lyonnaise et celle de l’histoire du camion français. Elle met à disposition un nombre impressionnant de documents de qualité et de véhicules restaurés pour « permettre de comprendre le présent à travers le passé et de mieux imaginer l’avenir ».
« L’entreprise Renault Trucks garde le souvenir d’un homme qui se mettait à la portée de tous, d’une grande connaissance de l’industrie automobile, d’une maîtrise orale parfaite alliée à une mémoire surprenante, ainsi que d’une modestie et d’une amabilité exemplaires. C’est une figure que tous respectaient. »
Michèle Picard, maire de Vénissieux :
« M. Paul Berliet avait dirigé l’entreprise vénissiane de 1949 à 1962 en faisant preuve d’audace et d’innovation. Berliet aura marqué notre ville et ses habitants. Vénissieux, capitale du poids lourds, est intimement associée à la fabrication des camions et des autobus Berliet.
« Cette mémoire industrielle appartient aussi aux Vénissians, aux ouvriers, techniciens et cadres qui, grâce à leurs savoir faire, auront permis à l’entreprise d’être le numéro 1 français du secteur et de rayonner dans le monde entier.
« Avec sa fondation qu’il créa en 1982, Paul Berliet a sauvegardé le patrimoine automobile de la région Rhône-Alpes et l’histoire du camion français.
« Je rends hommage à l’entrepreneur qu’il fût, à son travail de mémoire pour les générations futures. »
Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon :
« Grande figure de l’innovation industrielle, à partir des années 50, M. Paul Berliet a su par sa vision et sa créativité, assurer avec un brillant succès le développement de l’entreprise de son père Marius Berliet, à tel point que l’entreprise Berliet aura marqué le territoire de son génie dans la mécanique.
« Paul Berliet était aimé de tous pour sa bonté, sa générosité, son ouverture aux autres, qualités qu’il a toujours prônées dans son parcours de chef d’entreprise.
« Avec sa disparition, Lyon perd un représentant d’une des plus illustres dynasties industrielles lyonnaises qui a porté à travers le monde la notoriété de Lyon et de la France. »
abdelhak
7 septembre 2012 à 16 h 54 min
merci
abdelhak
7 septembre 2012 à 16 h 54 min
merci
abdelhak
7 septembre 2012 à 16 h 54 min
merci
abdelhak
7 septembre 2012 à 16 h 54 min
merci
bossez gerard
10 août 2012 à 15 h 29 min
merci
bossez gerard
10 août 2012 à 15 h 29 min
merci
bossez gerard
10 août 2012 à 15 h 29 min
merci
bossez gerard
10 août 2012 à 15 h 29 min
merci
Yohann
10 août 2012 à 13 h 56 min
le mot « mitraillette » est un jeu pour enfant …
Yohann
10 août 2012 à 13 h 56 min
le mot « mitraillette » est un jeu pour enfant …
Yohann
10 août 2012 à 13 h 56 min
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Yohann
10 août 2012 à 13 h 56 min
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