De grandes portes s’ouvrent. L’image sautille un peu, muette, en noir et blanc évidemment. Des dames sortent avec de drôles de chapeaux à voilette sur la tête. Arrivent les hommes coiffés de leurs canotiers ; ils viennent de finir leur journée aux usines des frères Lumière. Le film dure seulement 39 secondes mais il suffit pour donner naissance au septième art, le 19 mars 1895. Bien vite les frères Lumière reprennent leur caméra et tournent Le repas de bébé, L’arrivée du train en gare de La Ciotat ou encore L’arroseur arrosé. Le succès est immédiat. En 1896 les Lumière ouvrent la première salle de Lyon, rue de la République, et font tellement d’émules qu’en à peine quatre ans 500.000 Lyonnais s’engouffrent dans les salles obscures. Dès les années 1910 le cinéma se mue en industrie, avec messieurs Pathé, Gaumont ou encore Edison à la tête d’entreprises conquérantes, et déjà Hollywood et ses toutes jeunes stars. Dans le même temps, les salles de projection s’étendent et gagnent la banlieue ; l’agglomération lyonnaise en compte 39 en 1914, dont trois à Villeurbanne. A l’occasion, les bistrotiers organisent aussi quelques projections dans leur arrière-cour, comme le fait à Lyon le patron du Grand Café des Négociants, avenue de la République, dont l’enseigne promet aux clients un jeu de boules, une écurie avec remise et même un casino-cinéma. Bref, un petit Monte-Carlo ou peu s’en faut.
Et Vénissieux ?
En 1915, le commissaire de police du secteur dresse un constat lapidaire : il n’existe aucun établissement cinématographique dans sa circonscription. Il a dû s’endormir pendant l’entracte ou rater le début du film ! Car la première guerre mondiale a amené dans notre ville des flots d’ouvriers et de soldats travaillant aux usines d’armement, qui entendent bien se distraire les dimanches et en soirée. On fait donc appel à des « tourneurs ambulants, opérant en plein air ». Et bien vite, les trouffions et la population réclament davantage. Monsieur Capelle l’a bien compris. En 1918 ce négociant de la Presqu’île aménage rue Gaspard-Picard, tout près de la place Sublet, la première salle digne de ce nom à Vénissieux : le Cinéma Casino. Il démarre en trombe, avec des séances « le samedi en soirée et le dimanche et fêtes en matinée et soirée », et aligne… pas moins de 500 places.
Une fois l’histoire commencée, le scénario s’emballe, les scènes défilent à toute allure. Grâce à la multiplication des salles autour de Lyon le prix d’entrée, d’abord équivalant au salaire d’une demi-journée de travail, baisse sensiblement et devient à la portée de toutes les bourses. Du coup le septième art supplante toutes les autres formes de spectacles, théâtre et music-hall, marionnettes et opérettes. L’engouement populaire est tel qu’en 1924 un deuxième cinéma sort de terre boulevard Laurent-Gérin : L’Idéal Cinéma. Celui-ci appartient à un Vénissian domicilié « dans une maison attenante à ladite salle », M. Césano. Il a vu les choses en grand ; sa salle avec balcon et chauffage central compte 850 places et ouvre trois fois par semaine. On y projette Nosferatu le vampire, Metropolis, des westerns et bien sûr les films de Charlot. La municipalité participe aussi au mouvement. Vers 1924-1926 elle adhère à l’Office Régional du Cinéma Educateur, ce qui lui permet de visionner tous les jeudis après-midi des films « pour la récréation des enfants » dans les écoles du Bourg, du Moulin-à-Vent et de Parilly puis à partir de 1934 dans la Maison du Peuple. Ainsi les gones se régalent dès leur plus jeune âge d’Oliver Twist ou de La ruée vers l’ouest, quitte à ce que la mairie consente des sacrifices financiers pour faire face « à la pénurie des films et à leur prix de plus en plus élevé ».
La crise des années 30 fait sombrer les salles
Même si la popularité du cinéma amène une marée de spectateurs devant l’écran, l’entretien des établissements coûte de plus en plus cher aux exploitants. En 1928 l’incendie du théâtre des Novedades à Madrid, responsable de 200 morts, oblige les autorités à prendre des mesures de sécurité draconiennes dans ces salles désormais aussi grandes que des églises, où les risques demeurent permanents, les bobines de films étant alors très inflammables… et les fumeurs impénitents. A partir de 1929, l’arrivée du cinéma parlant entraîne un autre tremblement de terre, que vient de nous rappeler The Artist, le film aux 5 Oscars. L’Idéal Cinéma met plus de deux ans avant de s’équiper ; en 1931, il ne projette toujours que des films muets. Le Casino lui, ne résiste pas et met la clé sous la porte dès la fin des années 20. Il est racheté en 1931 par des propriétaires de cinémas de la rue de Marseille et rebaptisé « Familial Cinéma ». Malgré des investissements qui portent sa capacité à 600 places, le Familial subit de plein fouet la grande dépression économique des années 30 et le chômage qu’elle entraîne : « La baisse considérable des recettes due à la crise particulièrement aiguë dans cette partie de la banlieue lyonnaise et l’impossibilité d’obtenir des loueurs de films des réductions raisonnables [sur le prix des films] ne nous permettent plus de faire face à nos engagements », constate son gérant. Les sommes importantes dues aux sociétés de production et de diffusion, comme la Warner et Pathé, amènent le Familial à la faillite en 1934. L’Idéal Cinéma se retrouve seul en course. Pour répondre aux besoins des 18.000 Vénissians de l’époque, on en revient un temps aux projections en plein air, « avec des films usagés et sans intérêt ».
Août 1939. Le spectre de la guerre se rapproche. L’Idéal Cinéma est non seulement contraint de fermer ses portes à 20 h 30 mais doit retirer de ses programmes tous les films « qui montrent l’horreur de la guerre », et aussi les réalisations russes et allemandes ayant « un caractère de propagande, si discret soit-il ; les vaudevilles militaires tendant à présenter le Soldat sous un aspect ridicule », enfin les films « dont le caractère morbide ne pourrait avoir qu’un effet déprimant ». D’abord déroutés par les premiers mois de la guerre, les spectateurs retrouvent rapidement le chemin des écrans puis deviennent tellement avides de se changer les idées qu’en 1942 un nouveau cinéma ouvre au 11 rue Gambetta, le « Lux ». Même si la propagande des « Actualités » imposées par le régime de Vichy laisse un goût amer, les films en tous genres y font recette et notamment les comédies. Avec en haut de l’affiche Fernandel, Gabin, Arletty, Louis Jouvet, Raimu et tant d’autres encore.
L’Idéal Cinéma fit rêver les Vénissians jusqu’à sa fermeture en 1979. Son beau bâtiment fut malheureusement détruit dix ans plus tard. C’était sa dernière séquence.
Sources : Archives du Rhône, cotes 4 M 484-485 (1917-1931), 6 up 1/2899 et 2906, 4007 W 33 ; Archives de Vénissieux, 1 i 118 (1923-1942) et délibérations du conseil municipal (1927). R. Chaplain, Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise (1896-1945), thèse de doctorat, université Lyon 2, 2007.
HOUEL
7 mai 2012 à 10 h 34 min
Tres bon papier
HOUEL
7 mai 2012 à 10 h 34 min
Tres bon papier
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Tres bon papier
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