Gestion privée ou publique ? La question ne se pose pas que pour la collecte des poubelles. Alors que le Grand Lyon doit bientôt décider qui distribuera l’eau potable, des voix s’élèvent pour ne pas laisser ce bien commun au marché.
Les prochains mois seront décisifs pour le prix de l’eau que paient les usagers dans le Grand Lyon. Le contrat de délégation de service public, signé en 1986 pour une durée de 30 ans, devait se terminer en 2016. En application d’un arrêt du Conseil d’État, validé il y a quelques semaines, il prendra fin un an plus tôt, en février 2015. L’occasion pour la communauté urbaine de rebattre les cartes : va-t-on continuer à confier la production et la distribution de l’eau potable à une ou des entreprises privées, qui sont aujourd’hui Veolia Eau (pour 85% du Grand Lyon) et la Lyonnaise des Eaux, filiale de Suez Environnement (pour 15%) ? Un peu partout, des voix s’élèvent en faveur d’un retour à une régie publique, comme cela fut le cas avant 1986. “L’eau n’est pas une marchandise, expliquent en substance les membres du Collectif des états généraux du service public (1). On ne peut avoir à payer pour quelque chose d’aussi vital que l’air.”
La bataille est idéologique, mais aussi tarifaire. A 3,25 euros le mètre cube tout compris (services de l’eau, assainissement et taxes diverses), l’eau lyonnaise est l’une des plus chères de France : selon une étude réalisée par le cabinet Wincome, publiée en 2011 et portant sur l’année 2009, elle se classe en troisième position derrière Toulon et l’agglomération de Marseille. À l’autre bout du classement, on trouve l’eau du voisin grenoblois… passée en régie publique depuis quelques années.
“Il est difficile de comparer le prix de l’eau pour des villes différentes, assure Pascale Ceccaldi, directrice de la communication à Veolia. La structure des tarifs diffère selon les villes. Le prix du service de l’eau dépend également du contexte local (disponibilité et qualité de la ressource, niveau de qualité souhaité par la collectivité, état du réseau…), du type de service et des choix d’investissements de la collectivité. Pour l’ensemble de ses usages d’eau, un foyer dépense en moyenne 1 euro par jour.” Une moyenne néanmoins faussée dans le cas de Lyon, puisque ce prix comprend également le coût de l’assainissement : or celui-ci, géré directement par la communauté urbaine, est l’un des moins chers de France…
Des marges confortables pour le privé
Pourquoi l’eau lyonnaise est-elle si chère ? Il faut, pour l’expliquer, chercher dans le passé. Le contrat de délégation de service public avec la Compagnie générale des eaux (qui deviendra Veolia en 2005) et la Lyonnaise des eaux (groupe Suez) date de 1986. Il est pour la bagatelle de 30 ans. “Une erreur”, que dénoncent aujourd’hui des élus du Grand Lyon. Les prix sont en effet fixés de manière très élevée. Ils sont de plus majorés chaque année par le “coefficient K”, indexé sur les salaires, et produisant des hausses supérieures à l’inflation. L’eau passe ainsi de 0,76 euro en 1987 à 1,16 euro le m3 (hors taxes et assainissement) en 2002. Avec la majorité de gauche élue en 2001, le tir est légèrement rectifié lors de deux révisions quinquennales : -5 % en 2003 et -15 % en 2008. C’est également à cette dernière occasion, qu’au terme d’un arbitrage mené par une commission tripartite, le Grand Lyon impose une modification du fameux coefficient K. Celle-ci permet de freiner les augmentations des tarifs, abonnement compris.
Reste que les “fermiers”, malgré les baisses de tarifs acceptées à contrecœur, dégagent toujours des marges impressionnantes. Sur un marché évalué à quelque 125 millions d’euros, elles se situeraient au-dessus de 15 %. Elles auraient même atteint, entre 1990 et 2000, près de 25 %.
Une baisse d’abord, la régie ensuite ?
Le Grand Lyon négocie actuellement une diminution du montant de l’abonnement pour les années 2013 et 2014. Fixé à 72 euros, il représente en moyenne 34 % du prix de l’eau, alors que le seuil prévu par la loi se trouve à 30 %. La communauté urbaine, hors-la-loi ? Pas tant que ça, puisque Lyon peut être considérée comme une ville touristique, à l’instar des stations balnéaires : cela lui permet de dépasser ce seuil de 30% sans tomber dans l’illégalité. “Le prix de l’abonnement a augmenté de 33 % entre 2002 et 2012, explique Gérard Claisse, vice-président du Grand Lyon. Sur la même période, l’inflation se situait à 19 %. Il faut mettre fin à cet écart pour revenir à un juste prix.”
Un “juste prix” qui pourrait être atteint en 2015, lorsque prendra fin le contrat qui lie le Grand Lyon à la Lyonnaise des eaux et à Veolia. C’est en tout cas le principal enjeu de la réflexion que mènent les élus. Un groupe de travail a été formé : composé de dix membres (un pour chaque groupe politique), il est présidé par un comité de pilotage composé de trois vice-présidents de la communauté urbaine. Ils distinguent, pour l’instant, quatre scenarii de gestion et d’exploitation. Le premier, celui demandé par le collectif : un retour à une régie publique. Le second, une gestion “externalisée en lot unique” : le contrat ne serait attribué qu’à un seul fermier, soit Veolia soit la Lyonnaise, soit une autre entreprise. Le troisième scénario, une mixité par découpage territorial : une régie publique s’occuperait d’une rive de l’agglomération et une entreprise privée de l’autre rive. Et, quatrième hypothèse, une mixité par découpage fonctionnel : la production à la régie publique et la distribution à Veolia ou à la Lyonnaise.
La décision sera mise en délibération en octobre prochain. “De toute façon, c’est le président Collomb qui tranchera… estime Jean-Marc Drevon, porte-parole du Collectif des états généraux du service public. Il s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur d’une option mixte. Pour lui, Veolia et Suez sont “de grands groupes français” et il dit ne pas voir de raisons de “les fragiliser sur leur propre territoire”. Au final, ce sera une décision éminemment politique et non économique, ce que nous déplorons.”
(1) Ce collectif est notamment soutenu par la CGT du Rhône, l’UGICT Grand Lyon, la FSU, Solidaires, la CNL, le PS, le PCF, EELV, le PG ou encore le NPA.
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