Lorsque nous l’avions rencontrée, en octobre dernier, juste après son élection au sein de l’assemblée constituante tunisienne, la Vénissiane Karima Souid, membre du parti social-démocrate Ettakatol, nous avait confié sa déception face au score réalisé par le parti islamiste Ennahda. Femme de gauche, elle prenait acte du choix des électeurs tunisiens, mais annonçait qu’elle serait attentive à défendre les valeurs démocratiques, en particulier les droits des femmes.
Six mois après ou presque, les pressions exercées par les salafistes, les plus radicaux des islamistes, sont de plus en plus fortes. À l’université de la faculté des lettres de la Manouba, ils ont occupé le campus pendant des semaines, revendiquant le droit pour une poignée d’étudiantes de porter le voile intégral. Le débat sur le mariage coutumier, pratique depuis longtemps révolue, a refait surface. Des enseignantes non voilées se plaignent d’agressions verbales. Aucune loi n’est encore venue entamer officiellement les droits des femmes tunisiennes, qui comptent parmi les plus avancés dans le monde arabe, mais l’inquiétude est réelle.
Au sein de l’assemblée constituante, les débats sont exacerbés depuis qu’un député d’Ennahda a proposé d’insérer dans la future constitution une disposition en vertu de laquelle la charia serait le principal fondement de la loi. Une proposition en contradiction avec les engagements qu’avaient pris les responsables du parti islamiste après leur victoire électorale. Il s’agissait alors de rassurer les libéraux, et de s’assurer le soutien d’Ettakatol et du CPR, leurs alliés au sein de la nouvelle majorité parlementaire.
Karima Souid vit ces débats comme “un retour en arrière”. Néanmoins, elle ne s’inscrit pas dans une opposition frontale à Ennahda. Elle espère encore que les discussions pourront déboucher sur un consensus. “Les islamistes eux-mêmes sont divisés sur la question de la charia, observe-t-elle. C’est vrai qu’il y a une branche ultra-conservatrice, mais il y a également des élus modérés avec lesquels on peut avancer. À Ettakatol, nous pensons que l’on peut inscrire dans le préambule de la constitution les valeurs de l’arabité et de l’islamité, mais nous n’accepterons pas que la charia soit l’unique source de la loi. C’est une ligne rouge que l’on ne peut pas franchir. On ne peut pas remettre en cause la séparation du politique et du religieux. Nous sommes entre vigilance et espoir.”
“Les Tunisiennes sont prêtes à résister”
En dehors des bancs de l’assemblée, Karima Souid place ses espoirs dans le peuple tunisien, en particulier les femmes. “Les Tunisiennes ont été en pointe durant la révolution et elles ne laisseront personne remettre en cause leurs droits. Je discute énormément avec des femmes de tous les milieux et je peux vous assurer qu’elles sont prêtes, très majoritairement, à résister pour que la Tunisie reste un pays ouvert et démocratique.”
Depuis qu’elle siège à l’assemblée constituante, la Vénissiane s’est fait un nom. Son altercation avec un député qui lui reprochait d’utiliser le français et l’arabe dialectal (plutôt que l’arabe littéraire) dans ses interventions, a eu un certain écho. Elle est ensuite parvenue à obtenir la traduction des documents de travail en langue française. Et la création de versions française et anglaise du site internet de l’assemblée. “C’est une victoire, se réjouit-elle. Pour une Franco-Tunisienne comme moi, l’usage de l’arabe littéraire est très difficile. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être Tunisien. C’est aussi une question de transparence et d’ouverture, les Tunisiens de l’étranger doivent pouvoir suivre l’avancée du travail de l’assemblée constituante par internet.”
Récemment, la Vénissiane a trouvé une autre satisfaction dans les élections étudiantes qui ont vu le syndicat UGET, classé à gauche, l’emporter devant son concurrent islamiste. “Les motifs d’inquiétudes sont là, mais les raisons d’espérer aussi, résume-t-elle. Il ne faut pas céder et essayer de continuer à avancer.”
Additif : Le chef de file du parti Ennahda, Rachid Ghannouchi, a annoncé, le lundi 26 mars, que l’article1 de la Constitution de 1959, qui stipule que « la Tunisie est un Etat libre indépendant, et souverain, sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la République », serait maintenu en l’état dans la rédaction du futur texte que prépare l’Assemblée constituante. Le parti islamiste renonce donc à faire apparaître la charia comme fondement de la constitution dans ce même article 1.