En 1967, “La Chinoise” de Godard commence par un intertitre : “Un film en train de se faire”. Jean-Pierre Léaud, Anne Wiazemsky et Juliet Berto y parlent de marxisme-léninisme, de la rupture avec le PCF, de la guerre au Vietnam, de Mao, Johnson, Kossyguine, Pompidou, Mitterrand… Anne Wiazemsky discute dans un train avec le philosophe Francis Jeanson, point de rencontre entre un passé récent, la guerre d’Algérie, et un futur en préparation, mai 68. De la même manière, on pourrait dire qu’“Un Arabe dans mon miroir”, un spectacle de la compagnie Scènes mis en scène par Philippe Vincent et présenté au Théâtre de Vénissieux les 15 et 16 mars, est une pièce en train de se faire.
Je ne ferai pas l’injure à Philippe Vincent de reprendre pour son compte le slogan d’un fameux hebdomadaire français. Pourtant, son “Arabe dans mon miroir” regorge d’images fortes (“le choc des photos”) et ses propos font encore écho dans notre esprit longtemps après que le rideau s’est fermé (“le poids des mots”).
“Un Arabe dans mon miroir” est un spectacle d’autant plus fort qu’il s’attaque à l’actualité directe, celle des printemps arabes, mis en relation avec notre propre Histoire (les massacres du 17 octobre 1961 à Paris ou du 8 mai 1945 à Sétif).
“Nous avions déjà monté en 2007 un spectacle lié aux élections présidentielles, “Tout est possible dans le meilleur des mondes mieux”, explique Philippe Vincent ; la dernière représentation en avait été donnée la veille du premier tour.”
“Un Arabe dans mon miroir” prend sa source dans un précédent travail que la compagnie Scènes devait préparer autour du 11 septembre. “Nous avions réservé des billets pour aller en Égypte lorsque les révolutions arabes ont éclaté. Nous nous sommes retrouvés en mars au Caire et nous avons réfléchi avec Riad Gahmi, qui est comédien et auteur : notre texte sur le 11 septembre s’était mis à vieillir. Il a giclé et nous avons écrit cette forme, qui n’est pas encore aujourd’hui totalement achevée.”
“Tout le monde se rappelle ce qu’il faisait le 11 septembre”
Il est vrai qu’à l’allure où se précipitent les événements, les deux auteurs pourraient encore ajouter la Syrie. Déjà montré en Égypte et à New York, où il a bénéficié d’“un accueil incroyable” (dans des versions qui ont un peu bougé, l’américaine, par exemple, proposant des textes sur un soldat mort en Iraq et sur l’arrivée de son cercueil à Reno, attendu par sa veuve, Katherine Cathey), “Un Arabe dans mon miroir” balaie dans le désordre près de soixante-dix ans d’événements.
“Je conviens qu’il existe quelques erreurs historiques, comme l’a souligné une journaliste de Gaza à propos du passage dans sa ville de Michèle Alliot-Marie en janvier 2011, victime de jets d’œufs et de chaussures, mais c’est la première fois que l’on voit un spectacle qui met à distance notre propre Histoire. Partout nous nous sommes présentés en tant que Français. Le spectacle commence par l’année 1961, une façon de dire : voilà notre Histoire, après on va parler de vous, de la manière dont on vous voit.”
Si les mots ont un poids, la compagnie sait aussi composer sur scène des images saisissantes, grâce à une mise en scène épurée mais bourrée d’idées. Telles ces bouteilles suspendues et ces cartons amoncelés qui, nous dit Philippe Vincent, facilitent les déplacements en tournée. Mais aussi la force des discours en arabe, l’autodafé du Coran en Floride par le pasteur intégriste Terry Jones, l’immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie, la destruction des Bouddhas de Bâmiyân par les talibans, etc.
“Tout le monde sait ce qu’est le 11 septembre, reprend Philippe Vincent. Et tout le monde se rappelle ce qu’il faisait à ce moment-là. C’est un moment précis de l’Histoire qui est fort.”
L’attentat contre les tours jumelles est au cœur du spectacle sans que l’acte soit condamné ou justifié. Dans une interview donnée à un site égyptien, Philippe expliquait : “La pièce ne doit pas être interprétée comme une tentative de compréhension de l’autre. Nous ne pouvons pas changer le monde et je ne peux pas non plus être plus malin à propos des problèmes franco-arabes. Je peux seulement montrer ce que je vois.”
“Un Arabe dans mon miroir” au Théâtre de Vénissieux les 15 et 16 mars à 20 heures.
Tazrifs : de 8 à 18 euros.
Réservations : 04 72 90 86 68 – www.theatre-venissieux.fr