Les Vénissians connaissent forcément son visage : ils l’ont vu ici et là, sur une scène ou à la fête des Minguettes, dans une école ou à la Biennale de la danse. Toujours accompagné d’un bendir ou d’une darbouka, Moussa Belkacemi est un maître de la percussion et un fin pédagogue.
Ce jeudi, comme tous les jeudis, une douzaine d’élèves du collège Michelet se saisissent de darboukas, bendirs, djembés et tambourins. Ils sont venus pour le cours de percussions de Moussa Belkacemi et, pendant deux heures, Moussa va tout à la fois faire preuve de velours et de fer, tant au niveau des mains que du comportement.
Son gant est de velours lorsqu’il tape sa darbouka du bout des doigts, sa main est de fer quand elle se pose à plat sur l’instrument. Elle est du même métal lorsqu’il calme les enfants, leur rappelle les règles de la bonne écoute. Et se couvre tout aussitôt de velours quand il les félicite (souvent) ou plaisante avec eux. “Ils sont super, dit-il, je les adore !” Mais qu’ils se trompent de rythme et il les corrige gentiment. “Je veux des artistes, les exhorte-t-il. Vous avez le A, le R et le T. Aujourd’hui, vous allez obtenir le I et la suite.”
Il leur montre les “doum” et les “tac”, leur parle des trois principaux rythmes orientaux (“le masmoudi saghir, le saïdi, le cheftetelli”) et leur demande de faire quatre fois l’un d’eux. Pris par leur élan, les élèves ne s’arrêtent pas. “Et alors, s’exclame Moussa. Je vous demande quatre fois le rythme et vous me le faites dix fois ! Vous pensez à la danseuse ? Comment elle fait ? Elle a envie de se reposer !”
Moussa imite la danseuse, le bras levé, indiquant le rapport fusionnel qui existe entre la danse et le rythme donné par les percussions. “Je veux que mes élèves aient de la joie”, explique-t-il encore. L’un d’eux est Tunisien ? Il leur fait une démonstration du fezzani, le rythme tunisien par excellence, que le collégien reprend avec ravissement. Un autre est Comorien ? Le groupe apprend une chanson et un rythme comoriens et l’on sent le garçon fier de la démonstration qu’il vient de faire. Au collège, on loue Moussa pour son “grand professionnalisme et son efficacité”.
Quelques jours plus tard, Moussa est avec les petits de la Maison de l’enfance du Monery. Comme quelques semaines plus tôt la France et son triple A, les enfants sont sur le point de perdre le I de “ARTISTE” s’ils sont trop dissipés. Main de fer et gant de velours alternent encore et l’on sent tous ces petits doigts ravis d’exécuter sur leurs instruments le masmoudi saghir ou le fezzani.
Le même soir, Moussa se rend à l’école de musique Jean-Wiener où, dans le cadre des Musicianes, il va animer un atelier avec trois fois 17 enfants. “Je leur ai dit : si vous frappez l’instrument, c’est comme si vous ne l’aimiez pas. Si vous lui faites des câlins, il va vous rendre la pareille. C’est comme une thérapie musicale, je les mets en confiance. Je veux qu’ils sortent de l’école comme des artistes, fiers d’eux, sans se chamailler et qu’ils soient bien dans leur peau.”
Un autre exemple : Moussa donne un cours de bendir à des femmes de l’ASSFAM (Association service social familial migrants), dans le cadre du projet Kaléidoscope, mené par l’Opéra de Lyon à Vénissieux. Comme elles semblent réticentes, il leur chante une chanson en arabe et fait semblant de se tromper. Aussitôt elles le corrigent et chantent à leur tour. Leur confiance est gagnée. Les responsables de l’ASSFAM disent de lui qu’il a “dédramatisé des événements douloureux et contribué à faciliter les apprentissages de la langue française”.
Moussa est originaire de Belcourt (“avec un T”, précise-t-il), un quartier d’Alger. C’est là qu’il apprend la tôlerie, la mécanique et l’électricité. Entre 1962 et 1966, il suit les cours du conservatoire d’Alger en chant, vocalises, danses et musiques traditionnelles du Maghreb. Avec le Ballet national algérien, où il est chanteur et musicien, il se produit en Suisse, Bulgarie et Guinée. On le retrouve en 1967, percussionniste et chanteur à l’exposition universelle de Montréal. Les tournées l’amènent encore en France, en Belgique, à Helsinki, en Italie, etc.
En Algérie, il est musicien à la télé nationale, sous la direction du grand chef d’orchestre et compositeur Haroun Rachid, et accompagne les grandes stars du Maghreb, tels Ismaïl Hattab ou Abdelhadi Belkhayat. Il est aussi, pendant treize ans, le directeur artistique du cabaret Le Triangle Riadh El Feth à Alger.
Dans les années quatre-vingt, il multiplie les stages de formation en France et en Italie et donne des cours particuliers à des professeurs de danses orientales. Il participe à deux défilés de la Biennale de la danse, en 1996 et 1998. Avec le chorégraphe Elhadi Cheriffa, lui aussi installé depuis à Vénissieux, et un joueur de zorna, il enchaîne concerts, stages de danse et percussions. En compagnie d’Elhadi, il parcourt la France et l’Algérie pour le spectacle “Avis de recherche”. “Je venais avec des contrats et je repartais chez moi. J’allais arrêter, j’en avais ras-le-bol de devoir à chaque fois obtenir un passeport, des visas et tout recommencer parce que mon passeport se remplissait en une année. C’était la galère ! Mais en 1999, Marie-Marthe Darmet et Laïd Rafed, que je salue, ont fait appel à moi : l’association Acapi, à Vénissieux, avait besoin d’un intervenant sérieux.”
Moussa s’installe à Vénissieux où il ne va plus arrêter de se produire. Vacataire à la mairie, on le voit partout : dans les fêtes de quartier, dans les collèges (Michelet), les écoles (Max-Barel, Gabriel-Péri, Paul-Langevin), les maisons de l’enfance (Anatole-France, Monery), à l’école de musique Jean-Wiener. Il participe encore au défilé de la Biennale de la danse en 2002 et même à deux épisodes de la série “Louis la Brocante” sur France 3. “Le metteur en scène m’avait demandé de mettre des mots d’arabe dans mon dialogue, alors j’improvisais, je disais à Victor Lanoux “Chouf !” au lieu de “Regarde !” L’acteur était mort de rire si bien qu’il n’arrivait plus à me donner la réplique.”
Mais sa vie, c’est la percussion. Les “doum” et les “tac” qui la rythment et s’accompagnent parfois de soupirs, il est même parvenu à les retranscrire en morse. “Je l’ai appris quand j’étais chef de meute chez les scouts.”
Moussa prépare à présent les enfants qu’il suit aux spectacles de fin d’année. “Quand ils sont sur scène et qu’ils jouent d’une manière professionnelle, j’ai la chair de poule.” Car transmettre son art fait partie de ses préoccupations premières et ce n’est pas un hasard si des psychologues qui ont suivi ses formations ont apprécié sa manière de faire passer ses connaissances. “Au lieu d’amener le savoir dans ma tombe, je préfère le léguer”, lance-t-il. On ne saurait mieux dire.
Culture
Moussa Belkacemi : un gant de velours sur une main de fer
Les Vénissians l’ont vu ici et là, sur une scène, dans une école ou à la Biennale de la danse. Toujours accompagné d’un bendir ou d’une darbouka, Moussa Belkacemi est un maître de la percussion et un fin pédagogue.
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