La science-fiction est-elle soluble dans le théâtre ? Pas évident, aurions-nous tendance à répondre. Car qui dit SF dit forcément pléthore d’effets spéciaux. On imagine mal “Alien” ou “Terminator” sans eux. Et on imagine encore plus mal ces deux sujets portés sur la scène d’un théâtre.
Avec “Urbik/Orbik”, hommage rendu au grand écrivain de science-fiction américain Philip K. Dick, ce n’est pourtant pas ainsi que Joris Mathieu et sa compagnie Haut et Court ont envisagé la chose. Ceux qui ont suivi leur travail au Théâtre de Vénissieux, où ils étaient en résidence pendant plusieurs années, mais aussi dans des appartements vénissians pour présenter leurs “Chambres” savent très bien de quoi il en retourne.
Depuis l’an dernier, après avoir quitté les territoires d’Antoine Volodine (sa série sur “Des anges mineurs” était étonnante), Joris Mathieu s’intéresse donc à Dick, grand pourvoyeur de récits paranoïaques aux multiples univers parallèles. Comme dans ses adaptations de Volodine, comme dans “La sphère d’or”, un spectacle présenté au Théâtre de Vénissieux en novembre dernier, Joris choisit la voix-off comme fil conducteur. Une voix qui berce le spectateur, le met en état d’hypnose et le guide à travers des images qu’il ne comprend pas forcément.
Entendons-nous bien : ce n’est pas que ce qui se déroule sur la scène est de l’ordre de l’abstrait. Bien au contraire, nous sommes bien face à des comédiens et des décors. Là où le spectateur commence à être perdu, c’est que rapidement, il perd pied dans la réalité qui lui est montrée. Les acteurs se confondent avec leurs images vidéos, ils disparaissent subitement ou ne sont plus qu’un halo, ils sont suspendus dans les airs, accrochés à une table. Et c’est là la grande force de Joris Mathieu : il invente les effets spéciaux au théâtre, sans grande machinerie si ce n’est des écrans transparents sur lesquels des images sont projetées. Et, surtout, il nous plonge dans un univers incroyable dans lequel Dick ne détonne pas. Joris ne cherche pas à refaire au théâtre ce que de grands cinéastes ont imaginé à l’écran, telles ces transpositions cinématographiques de Philip K. Dick signées par Ridley Scott (“Blade Runner”), Paul Verhoeven (“Total Recall”), Steven Spielberg (“Minority Report”) ou Richard Linklater (“A Scanner Darkly”). Non, il reste fidèle à ses options.
Le texte de Lorris Murail s’empare tout à la fois d’éléments de la vie personnelle de l’écrivain (la mort en bas âge de sa jumelle) et de thématiques qui lui sont propres : un monde futur en déliquescence avec un état policier tout puissant et des cellules de vie parallèles dans lesquelles la population peut se réfugier. Ces dernières renvoient bien évidemment aux drogues et médicaments dont Dick faisait son quotidien. Dans les récits de l’auteur d’“Ubik”, les histoires sont toujours compliquées et celle d’“Urbik/Orbik” l’est tout autant. La force de Joris Mathieu est de créer des sensations, une fascination pour le spectacle qui se déroule. Le mot a déjà été employé mais il est tenace : une hypnose !
« Urbik/Orbik » a été présenté au Théâtre de Vénissieux les 12 et 13 janvier derniers
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