“De mémoires d’ouvriers” démarre très fort avec l’histoire de la grève d’ouvriers horlogers de l’usine Crettiez, à Cluses, en 1904. Les trois fils du patron ouvrent le feu sur leurs employés. Bilan : trois morts, une cinquantaine de blessés et le sac de l’usine. Patrons et ouvriers se retrouvent sur le banc des accusés, les uns pour meurtres, les autres pour destruction. Les fils Crettiez seront condamnés (la plus lourde de peine n’excèdera pas un an) et les ouvriers libérés.
Gilles Perret va ensuite balayer un siècle de vie ouvrière savoyarde, puis recueillir des témoignages d’aujourd’hui. On entend le découragement des uns et des autres face à des actionnaires qui, depuis les antipodes, peuvent fermer les usines françaises. Ou face au gouvernement français qui, en 2002, ouvre la production d’énergie à la concurrence et condamne à mort nos entreprises, dont celle de Saint-Jean-de-Maurienne. “Quel journaliste, demande le cinéaste, osera dire que c’est la faute de Chirac et Jospin ?”
Malgré cela, le film s’achève sur une note d’espoir. Un prêtre-ouvrier cite le Christ qui a dit “Lève-toi et marche” et non “Baisse la tête” tandis que l’historien Michel Étiévent interroge : “Quel espoir avait un jeune Parisien au lendemain de la Commune ? Ou en 1940 ? Et pourtant, certains se sont levés !”
Le débat qui a suivi la projection fut passionnant. Devant le flux de questions, Gilles Perret lance en souriant : “On n’est pas couchés !” On sent qu’il est à l’aise dans ce genre d’exercice et qu’il aime rencontrer un public qui se sent concerné par le sujet de son film.
De l’aveu de son auteur, “De mémoires d’ouvriers” n’est pas uniquement un film historique mais “un outil de réflexion qui questionne la société d’aujourd’hui”. Aussi la majeure partie de la discussion tourne autour de l’actualité.
“Ce qui se passe dans le monde ouvrier existe aussi dans le tertiaire, remarque un spectateur. Nous sommes dans des combats corporatistes et c’est pour cette raison qu’on ne gagne pas !” Un autre renchérit : “C’est terrible que le lieu de décision (NDA : dans le cas de l’usine d’aluminium de La Bathie, citée dans le film, il s’agit de l’Australie) soit déconnecté de celui où les choses se produisent. Il faut revendiquer du pouvoir là où les choses se font.”
Gilles Perret est “100% d’accord” mais ajoute : “À condition que les ouvriers le veuillent. Ils ont démissionné de leur rôle d’action sociale. Il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Aujourd’hui, la finalité est de faire de l’argent, et tant pis ce qu’on produit et où on le produit.” L’élu communiste vénissian Pierre-Alain Millet renchérit en parlant « des abandons de Hue et Krivine ».
Un autre encore regrette dans le film le manque de syndicalistes désignés en tant que tels.
“Tous les gens du film sont engagés, répond Gilles Perret. Je ne les ai pas pris au hasard. Je préfère une parole plus humaniste qui touche tout le monde plutôt que d’afficher des badges. Souvent, quand il voit des étiquettes, le grand public n’écoute plus !”
“De mémoires d’ouvriers” a été diffusé sur France 3 au printemps dernier, dans une version écourtée de 52 minutes. Il sort en salles le 18 janvier prochain dans sa version longue de 77 minutes. Et mérite le déplacement.