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Yazid Ikdoumi : “Le plateau des Minguettes participe à l’avenir de la ville”

À deux semaines de l’ouverture du Grand Rendez-vous de la Ville, Yazid Ikdoumi, directeur du Grand Projet de Ville de Vénissieux, se retourne sur le travail accompli dans le cadre de la Politique de la Ville. Et mesure les défis à relever.

Votre carrière professionnelle est en relation avec les quartiers populaires. C’est le fait du hasard ou c’était une évidence ?
J’ai moi-même grandi dans un quartier populaire. C’était une époque bien particulière où je ne me rappelle pas que nous ayons été plus de 4 ou 5 enfants d’origine étrangère dans une classe. Le niveau de l’exclusion socio-urbaine n’était pas comparable. Mon orientation professionnelle s’est construite loin du quartier, en fonction des rencontres et des opportunités. Néanmoins, j’ai bien conscience que cette histoire m’a donné quelques atouts et un intérêt pour le travail dans le champ de la Politique de la Ville.

Quel bilan faites-vous du travail accompli sur les quartiers du plateau des Minguettes et de Max-Barel ?
Il a fallu dix ans pour préparer le projet urbain qui est mis en œuvre depuis 2005. Aujourd’hui, le paysage urbain est transformé et les conditions de base d’une évolution plus ample sont posées. La principale leçon réside dans le constat que c’est le niveau d’ambition qualitative, quantitative et financière du projet qui peut modifier la ville et la vie des habitants. Sur le volet “développement social”, il reste beaucoup à faire et l’on sait que, dans ce domaine, les résultats ne s’obtiennent pas d’une année sur l’autre. Les écarts à la moyenne en matière de chômage ou de réussite scolaire sont restés identiques à ce qu’ils étaient il y a dix ans. Mais il faut prendre acte de l’adaptation des politiques sociales et de la présence forte des acteurs publics dans la cité.
Les difficultés sont là, cependant les quartiers du plateau des Minguettes et de Max-Barel ne sont certainement pas des secteurs de non-droit. Ce sont des quartiers populaires où l’offre de logements à loyers modérés permet à une partie fragile de nos concitoyens de se loger dignement et de profiter d’une offre de service public peu onéreuse.

Lors du débat organisé en juillet à l’occasion du 20e anniversaire des émeutes de 1981, des intervenants ont dénoncé la prédominance de l’urbain sur l’humain, certains qualifiant même le bilan de squelettique.
C’est leur regard. Certes l’urbain ne fait pas tout, mais c’est tout de même important. Que n’aurait-on pas dit si rien de significatif n’avait été réalisé dans ce domaine ! Aujourd’hui, la vacance des logements est quasi nulle et le marché de la construction se développe à nouveau. L’accession sociale privée profite très largement à des acquéreurs vénissians, dont 40 % sont issus des Minguettes. Le parcours résidentiel, ce n’est plus forcément quitter le quartier. On a beaucoup progressé sur la question de l’habitat existant (plus de 1 800 logements sociaux réhabilités) et de la gestion de proximité avec les bailleurs sociaux.
En revanche, la problématique de la très faible participation citoyenne par le vote est effectivement très préoccupante, et certaines caractéristiques de la relégation urbaine persistent.

C’est-à-dire ?
J’évoquais la question de l’école. Elle a aujourd’hui beaucoup plus de mal à répondre aux enjeux de la transmission des connaissances et d’intégration sociétale. La ségrégation socio-ethnique rend la tâche toujours plus difficile. Le constat est souvent exprimé par les responsables d’établissements du second degré qui dénoncent des stratégies d’évitement générées par la suppression de la carte scolaire. Les meilleurs élèves s’en vont et malgré des équipes pédagogiques de grande valeur, un entre-soi subi s’installe. On ne connaît et ne fréquente que des semblables, de la maternelle aux portes de l’université.
Je suis convaincu que nous devons nous interroger, dans le cadre du projet urbain, sur le positionnement géographique de certains collèges et la taille des écoles élémentaires. Cela me semble indispensable si l’on veut accompagner les efforts déployés pour améliorer la réussite éducative et ouvrir la possibilité à l’élargissement des réseaux sociaux.

Quelles autres orientations voyez-vous pour poursuivre la transformation des Minguettes ?
Je pense qu’il faut finir le processus de démolition aux franges du plateau et dans certains secteurs plus en difficulté, à la fois pour des raisons urbaines de transformation de la ville, et pour des raisons sociales parce que ces opérations nous imposent de trouver des solutions pour le relogement des ménages les plus fragiles. Par ailleurs, nous devons continuer à produire une offre diversifiée de logements. Il s’agit de donner des opportunités à de nouvelles personnes de vivre sur le plateau et de permettre aux personnes modestes de rester et de se construire un cursus résidentiel.
Enfin, je suis très attaché à l’idée que la silhouette urbaine de Vénissieux est composée non seulement de son centre historique mais aussi de son patrimoine des années soixante. Le plateau des Minguettes, par son poids démographique, ses qualités urbaines et le dynamisme de ses habitants, participe de l’avenir de la ville comme polarité de l’agglomération.

On a longtemps eu une lecture sociale des problématiques des quartiers populaires. Mais l’approche identitaire gagne du terrain. Comment réagissez-vous face à cette évolution ?
Je rappelle que 82 % des chefs de ménage habitant aux Minguettes sont de nationalité française. Ramener le débat à une question identitaire est une simplification outrancière. Les émeutes de 2005 ne relevaient pas d’une revendication communautaire, elles étaient une réaction sociale à un phénomène de marginalisation de citoyens français pour l’essentiel.
De la même manière, on ne peut pas nier les origines étrangères de nombreux habitants. Ils ne sont pas transparents, ils sont venus avec leurs histoires et leurs croyances. De ce point de vue, une partie des habitants réinterroge la société française sur son rapport au religieux. Ce qui ne va pas sans mal. Pourtant le cadre laïc et l’histoire de ce pays démontrent sa capacité à faire face. Nous devons mener un travail sur les rapports entre islam et laïcité, en se demandant ce que l’on peut faire pour continuer à faire société ensemble.
Parallèlement à cela, je crois beaucoup aux expressions culturelles des différentes composantes de la société, comme moyen de rejeter l’entre-soi, et de partager avec les autres une part de son histoire. Vivre ensemble, c’est avoir en commun des valeurs, un destin et le bagage de toutes les différences.

Repères
Avant d’arriver à Vénissieux, Yazid Ikdoumi a travaillé sur la requalification de copropriétés et la restructuration du centre-ville de Saint-Priest, dans le cadre de la Politique de la Ville. Diplômé de l’Institut d’Études politiques de Lyon et titulaire d’un DESS en aménagement et urbanisme, il est aussi membre du groupe pour l’égalité dans la ville (GIPEV) mis en place par la Ville de Lyon, et du comité d’éthique du CIRC (centre international de recherches sur le cancer).
Depuis 2005, il est directeur du Grand projet de ville de Vénissieux (GPV), un dispositif associant notamment le Grand Lyon, la Ville, le Département, la Région et l’État, qui a pour objectif de faire des Minguettes et de Max-Barel un espace de vie plus attractif, plus ouvert, plus équilibré.

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