Vénissian de toujours, fils d’un ancien travailleur de chez Berliet, lui-même salarié de la grande entreprise à partir de 1974, Jean-Luc Thieu a aujourd’hui 57 ans… et le souffle court. En 2007, on lui a retiré le lobe supérieur du poumon droit. En 2009, il a pu partir en préretraite amiante, à 1700 euros par mois. Pas malheureux, mais le moral fait le yo-yo. Même si la maladie a été stoppée relativement tôt, elle est toujours là, menaçante.
Depuis quelques semaines toutefois, depuis que le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a reconnu la “faute inexcusable” de Renault Trucks à son encontre, le moral se maintient dans les hauteurs. “Ça m’a fait du bien !” Jean-Luc Thieu a été soutenu dans ses démarches par la FNATH (la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés). L’entreprise a été condamnée à verser 50 000 euros au FIVA, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Mais pour Jean-Luc, c’est bien plus qu’une histoire d’argent. C’est la reconnaissance que la fibre tueuse était présente dans différents secteurs de l’usine, en particulier à la fonderie. Il y a travaillé de 1974 à 1985. En tant que technicien de bureau, il n’était pas le plus exposé. Mais il allait souvent dans l’atelier, suffisamment pour contracter la maladie. “Il y avait une prime d’ambiance, c’est bien la preuve que la direction avait conscience de la nocivité des conditions de travail !”
Officiellement pourtant, Renault Trucks a toujours fait de la résistance. Il a fallu attendre 2 004 pour que la direction soit reconnue coupable, pour la première fois, de “faute inexcusable” à l’encontre d’un ouvrier. Il s’agissait de M. Ali Aïssani, décédé quatre ans plus tôt d’un cancer des voies respiratoires. Lui aussi avait fait l’essentiel de sa carrière à la fonderie. Plusieurs condamnations du même type ont depuis été prononcées, à la suite d’initiatives individuelles.
Une décision attendue en juillet
Mais Renault Trucks (plus précisément les anciens établissements de R-VI situés à Vénissieux et Saint-Priest) n’est toujours pas classé à ce jour sur la liste des entreprises amiantées. Or sans ce classement, les salariés ne peuvent pas prétendre collectivement à l’Allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante (ACATA), qui ouvre droit à une retraite anticipée à partir de 50 ans et à une prise en charge des frais médicaux en cas de maladie. Les syndicats et l’association de salariés APER (Prévenir et réparer) n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts. De 2001 à 2007, ils se sont battus sans discontinuer, constituant des dossiers épais comme un annuaire, qui regroupaient des centaines de témoignages attestant de la présence de l’amiante dans les ateliers, des années soixante jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Dans le registre des victimes, ils sont nombreux aujourd’hui à n’être plus de ce monde. Malgré ce faisceau de preuves, le combat des salariés s’est arrêté net un jour de juin 2007 devant le tribunal administratif de Lyon, pour un malheureux vice de forme. Les juges estimant en substance que les statuts de l’association ne permettaient pas au conseil d’administration de former une action en justice.
Après ce coup de bambou, l’APER a mis un certain temps à relever la tête. Pour éviter toute nouvelle déconvenue, l’association a décidé de changer de stratégie. “Ce n’est plus l’APER qui demande le classement amiante, mais les salariés à titre individuel, explique Jean-Paul Caret, le président. Ces gars travaillent dans différents ateliers, ils ne sont pas malades mais sont susceptibles d’être éligibles à l’ACATA”. Aux dernières nouvelles, le dossier était à l’étude au ministère du Travail. “On s’attend à une décision en juillet”. Si la réponse est négative, l’APER n’exclut pas de retourner devant le tribunal administratif.
Pour Jean-Luc Thieu, “le pire dans cette histoire, c’est que l’entreprise ne fait pas ce qu’il faut en matière de dépistage. Les radios annuelles sont insuffisantes. Quand on aperçoit quelque chose, c’est bien souvent trop tard. En ce qui me concerne, c’est à l’hôpital, dans le cadre du suivi pour une autre maladie, que l’on a découvert le problème. Si je n’avais pas passé ce scanner, je ne serais sans doute pas là aujourd’hui. C’était le début de la maladie. Beaucoup de collègues n’ont pas eu cette chance.”