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Les comices agricoles : fermes en fête

Les villageois préparent l’événement depuis des mois. Les femmes ont cousu des kilomètres de tissus de toutes les couleurs. Les hommes travaillé le bois jusqu’à s’en user la paume des mains, fabriquant barrières, poteaux et mats pour les héros de la fête, et aussi des tribunes pour les personnalités officielles et le public venu en foule. De leur côté, les élus municipaux se sont réunis jusqu’à des point d’heure de la nuit, couvrant par leurs éclats de voix les fausses notes de la fanfare répétant dans la grange d’à côté. Arrive le grand jour. «Les habitants de cette charmante localité [Vénissieux, mais vous l’aviez deviné], se sont distingués pour recevoir dignement tous les défenseurs de l’agriculture. Les rues ont offert un coup d’œil féérique, à chaque pas des guirlandes ; les façades des maisons disparaissaient sous la multitude des trophées de drapeaux français et russes ». Que se passe-t-il donc ? Une visite du président de la République ? Le passage d’un empereur venu de Saint-Pétersbourg ? La commémoration d’une victoire ? Non, mieux, bien mieux que cela : un comice agricole ! L’institution n’a pas disparu et notre 21e siècle continue la tradition. Tous les ans, dans chaque canton de la France rurale, les paysans participent par milliers à ce grand événement du calendrier agricole. Une fête de la terre au cours de laquelle tous les professionnels de la campagne, qu’ils soient éleveurs, horticulteurs ou céréaliers, présentent leurs productions au public et concourent devant un jury récompensant les propriétaires des plus belles bêtes, des plus gros fruits et légumes ou des grains d’une qualité exceptionnelle.
Avant que Vénissieux ne devienne la ville que l’on connaît, elle aussi célébrait les récoltes des jardins et des champs. En 1885, le canton de Villeurbanne, dont dépendait alors notre ville, s’était doté d’une organisation en charge de la grande manifestation. En plus de Vénissieux, l’association du Comice Agricole comptait parmi ses membres les communes de Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Saint-Fons, Bron et aussi les quartiers de Monplaisir et de Montchat, encore considérés comme agricoles bien qu’appartenant à des arrondissements de Lyon. Tous les habitants du canton exerçant un métier en rapport avec l’agriculture pouvaient y adhérer – et de fait, l’association regroupait 690 membres en 1898, ce qui dit bien son succès. Son but premier consistait à encourager les progrès de l’agriculture, « la bonne tenue des exploitations agricoles, l’amélioration des animaux des espèces domestiques, la propagation du bon outillage agricole, et de récompenser les bons serviteurs ruraux ». Elle éditait pour ce faire un bulletin bimestriel, dont le titre résume la profession de foi : « Le cultivateur progressiste de la région lyonnaise ».
Preuve de son importance, l’association était dirigée par des personnalités de premier ordre. En 1910, son président n’est autre qu’Edouard Herriot. Le maire de Lyon et futur président de la Chambre des députés a succédé à un certain M. Faure, professeur de botanique à l’école vétérinaire de Lyon, lequel a remplacé le fondateur et premier président de l’association, « dont la compétence en matière agricole était très appréciée », notamment sa science du greffage des vignes : Napoléon Sublet, maire de Vénissieux, celui dont la place que vous connaissez bien porte le nom.

Le comice agricole constituait le point culminant de ce mélange subtil de paysans, de savants et de politiciens ; d’après une lettre adressée au préfet, celui dont on vous parle ici « est un des plus importants du département et, permettez-nous de vous le dire, n’est composé que d’excellents républicains » ! La grande fête terrienne se tenait chaque année le premier dimanche de septembre, dans l’une des communes ou l’un des quartiers du canton choisi à tour de rôle. Vénissieux l’accueillait donc une fois tous les 6 ans : notamment en 1892, 1898, 1904, etc.
Prenez la machine à remonter le temps, jusqu’à ce dimanche 9 septembre 1892, orné des couleurs bleu blanc rouge et du drapeau de Russie. Dès 6 heures du matin, les Vénissians et une marée humaine venue des communes voisines déferlent à pleins tramways, à pied, à cheval ou en chars à bœufs jusque sur la place Sublet, élue grand quartier général de la manifestation. Les exposants les ont précédés, amenant qui ses chevaux, moutons ou veaux, qui ses potirons, ses cornichons, ses champignons, ses valets de ferme ou ses charrues. Tout ce que la terre donne comme cultures ou comme bétail, tout ce qu’elle réclame comme soins ou comme personnels, se retrouve sur la place du village transformée en ferme improvisée. Le monde à deux ou à quatre pattes s’y presse tant que l’on n’y glisserait pas une plume de poulet.
A 8 heures, les membres du jury entament leurs fonctions. Ils soupèsent, goûtent, tâtent, inspectent sous toutes les coutures les chefs-d’œuvre des exposants. « On a surtout remarqué les collections de pommes de terre de M. Favre, qui ne possède pas moins de 500 variétés. Très remarqué aussi les courges et les spécimens de chicorées et de salades de M. Violet. Les produits viticoles ont aussi attiré l’attention du public. A côté des beaux raisins que nous ont montrés les viticulteurs, on remarquait un tableau des maladies de la vigne « . Sur les champs voisins du village, la compétition aussi fait rage. « Nous n’avons garde d’oublier le concours de labourage auquel ont pris part les attelages des principaux cultivateurs des environs, et qui a été fort intéressant ». A midi, le jury se retire. Le sénateur du Rhône, le secrétaire général de la préfecture et monsieur le maire décident quels candidats se partageront les 6000 à 9000 francs de prix et de médailles. Pendant qu’ils délibèrent, la fanfare et la chorale de Vénissieux exécutent les pièces de leur répertoire, sans calmer pour autant l’attente anxieuse des candidats. La proclamation des résultats arrive enfin. « Grande culture. 1er prix, médaille d’or, Brédy, de Villeurbanne. 2e prix, médaille de vermeil, Garin, de Vénissieux. Vignes, 1er prix, médaille de vermeil… «  ; et ainsi de suite, sur des pages et des pages. Les Vénissians ne s’en tirent pas trop mal, avec 16 prix sur la cinquantaine attribués.
Et comme dans toute bonne fête gauloise – pardon, française, le comice se termine par un grand banquet. Plus de 500 convives prennent place au café de France, où le vin coule à flot tout comme les beaux discours. On porte des toasts aux paysans, aux habitants, à la République et à son président. L’histoire ne dit pas si le barde fulmine dans un coin, attaché avec un bâillon sur la bouche. « L’année prochaine, le comice aura lieu à Vaulx-en-Velin », conclut le canard du canton.
Sources : Archives départementales du Rhône, 7 M 110-111 (1885-1936), 4 Msup 9 (1905-1911), et PER 907 (journal Le Villeurbannais, 3 et 10/9/1892).

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