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Expulsions, saisies, coupures d'énergie : les arrêtés suspendus, la lutte continue

Jeudi 7 avril, 9 heures 30. Devant le tribunal administratif de Lyon, boulevard Deruelle, une centaine de personnes sont rassemblées, à l’appel de Michèle Picard (maire de Vénissieux), Serge Tarassioux (Pierre-Bénite) et Bernard Genin (Vaulx-en-Velin), lesquels s’apprêtent à défendre la pertinence des arrêtés qu’ils ont pris le 15 mars interdisant les expulsions locatives, les saisies mobilières et les coupures d’énergies, sous certaines conditions que chaque maire a définies à sa manière.
Les manifestants ont déroulé, devant l’entrée du tribunal, une longue banderole clamant “Non aux expulsions. Travail, logement, pour tous”. Certains portent des panneaux “Exigeons le droit à une vie digne”. On croise pêle-mêle des élus, des responsables politiques, syndicaux et associatifs, et de simples citoyens, décidés à “se battre contre des situations injustes que personne ne mérite de connaître”. Présent aussi, le député de la 14e circonscription du Rhône, André Gerin, venu à plusieurs reprises défendre les arrêtés qu’il avait pris alors qu’il é­­tait maire de Vénissieux. Les manifestants posent derrière la banderole pour les photographes. 10 heures, l’heure de l’audience approche. On plie les banderoles, on empile les panneaux. Tout le monde entre dans la salle d’audience.

L’audience commence avec vingt minutes de retard. “Ils pourraient montrer l’exemple”, commente-t-on dans l’assistance. “Première affaire, annonce le greffier. La préfecture du Rhône contre des arrêtés pris par la commune de Vénissieux.” La représentante du préfet se lève, entame son réquisitoire. Elle assure, en substance, qu’un maire n’a pas compétence à prendre de tels arrêtés. Qu’il s’agit de faire obstacle à une décision de justice. Et qu’un motif politique ne peut être considéré comme relevant des pouvoirs d’un maire. Dans la salle, les commentaires fusent : “N’importe quoi”, “Comme d’habitude”, “Ben voyons”, “Elle ne sait pas ce que cela peut faire, une expulsion”.
Me Mescheriakoff, l’avocat de la Ville de Vénissieux, va plaider. Regrettant que “la conception du pouvoir de police du maire soit une conception élastique”, il s’attache à démontrer que les arrêtés ne relèvent pas d’un vague motif politique mais répondent à des critères précis. Avant de laisser la parole à Michèle Picard, qui va rappeler quelques données lourdes de sens : en 2007, donc un an avant la crise économique, déjà 27,10 % des Vénissians vivaient sous le seuil de pauvreté, le double de la moyenne nationale ; le surendettement est dû pour 75 % aux difficultés de la vie ; en deux ans, le montant des aides sociales accordées par le CCAS a augmenté de près de 30 %… “Le maire est en première ligne, confronté quotidiennement à la précarité, rappelle Michèle Picard. C’est à lui de trouver des solutions pour répondre à l’urgence sociale. Il est le pompier de service et quand il prend des mesures de précaution, de prévention, on interdit ses arrêtés. (…) Il est de mon devoir et de ma responsabilité d’assurer l’ordre public et de veiller à la dignité, à la sécurité de mes concitoyens.” Applaudissements dans la salle. Un soutien qui n’est pas du goût du juge : “Je vous rappelle que vous vous trouvez dans une enceinte de justice, pas dans un colloque d’université”, assène-t-il, glacial. Quelques rires lui répondent.
Le juge met l’affaire en délibéré, et demande au greffier d’annoncer l’affaire suivante. “La préfecture du Rhône contre les communes de Pierre-Bénite et Vaulx-en-Velin”. Même cause, mêmes effets. La représentante du préfet répète peu ou prou son argumentaire ; l’avocat de Serge Tarassioux et Bernard Genin lui répond point par point ; les deux maires prennent la parole pour rendre visage humain à des situations que l’on résume trop souvent par des chiffres. Affaires mises en délibéré.
Lundi 11 avril, le tribunal administratif a décidé de suspendre les arrêtés des trois maires. Réagissant aussitôt, Michèle Picard a déploré que “la machine à broyer puisse se remettre en marche”, mais ne s’avoue pas battue : “Je poursuivrai mes actions de résistance contre cette non-assistance à personne en danger, contre l’ordre établi. Je défendrai encore avec force la légitimité de ces arrêtés pour une vie digne. Il ne s’agira jamais d’une simple formalité. La jurisprudence n’est pas immuable et rien ne dit qu’elle n’évoluera pas un jour. C’est tout le sens de mon combat.”

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