Depuis le 15 mars, la trêve hivernale des expulsions locatives a pris fin. De nombreuses familles craignent de vivre le cauchemar d’une expulsion. Pour ne pas voir des foyers poussés à la rue pour cause d’impayés de loyers, quatre maires de gauche de l’agglomération ont pris des arrêtés interdisant les expulsions locatives et les coupures d’énergies : Michèle Picard (PCF) pour Vénissieux, Serge Tarassioux (PCF) pour Pierre-Bénite, Bernard Genin (PCF) pour Vaulx-en-Velin et René Balme (PG) pour Grigny. Martial Passi (PCF), maire de Givors, a également apporté son soutien à cette initiative. Michèle Picard nous a, par ailleurs, accordé une interview où elle réaffirme sa détermination à faire cesser ces pratiques « d’un autre âge ». « Se taire, c’est consentir », affirme-t-elle.
Les premiers magistrats de Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Pierre-Bénite et Grigny ont signé leurs arrêtés mardi 15 mars rue Dunoir, dans le 3e arrondissement de Lyon, en présence d’une soixantaine de militants associatifs et d’élus. Ils ont ensuite porté leurs textes à la préfecture, où ils ont été reçus par le préfet délégué à la sécurité Jean-Pierre Cazenave-Lacrouts. “Les expulsions sont une pratique indigne de notre société, symbole d’une pauvreté qui se banalise, déclarait Michèle Picard. Le moindre accident de la vie, et c’est toute la famille qui se retrouve happée. Ceux qui ont des impayés de loyer ne sont pas des mauvais payeurs ! Il faut un véritable plan Orsec pour une vie digne.” “Nous lançons un double appel, confirmait Bernard Genin : à la résistance et à la dignité.” Mais le préfet a déjà annoncé que “ces arrêtés seront déférés devant le tribunal administratif, en vue de leur annulation”.
Le lendemain, à Vénissieux, la manifestation contre les expulsions locatives a rassemblé 120 à 150 personnes, habitants, élus et militants associatifs et politiques, au premier rang desquels le député André Gerin. Parti de la place du marché des Minguettes, le cortège a rejoint le centre-ville et la place Léon-Sublet. “À Vénissieux, la cocotte-minute explose, a souligné à cette occasion Michèle Picard. Ces arrêtés constituent un acte de désobéissance civile.” “Des hommes et des femmes se retrouvent dans des situations terribles, déclarait aussi André Mazuir, porte-parole du Réseau d’alerte et de solidarité des Vénissians. Il faut que l’on se batte pour que cela cesse.”
Michèle Picard : “Se taire, c’est consentir”
– Vous venez de signer, avec d’autres maires de l’agglomération, de nouveaux arrêtés interdisant les expulsions locatives, les coupures d’énergies et les saisies mobilières sur vos communes. Comment ont-ils été préparés ?
– Tout d’abord, je dois préciser que, s’il s’agit bien d’une initiative commune, chaque maire se rend à la préfecture avec ses propres arrêtés. C’est plus judicieux : nous allons présenter des arguments politiques et juridiques différents. L’union faisant la force, peut-être que l’un de nous trouvera l’espace juridique permettant leur validation.
– Sur quels arguments fondez-vous vos propres arrêtés ?
– Je m’appuie sur la Convention de New-York et sur le rapport du Défenseur des enfants*. Par exemple, il relève qu’une expulsion, pour un jeune, relève du même genre de traumatisme que la guerre. Si je dois aller au tribunal administratif, ce sera l’un de mes axes de défense.
Toutefois, comme l’an passé, je pose certaines conditions. Sur le principe, j’interdis les expulsions locatives sur la commune, mais en listant les cas concernés : quand il y a un enfant dans la famille, quand une personne est malade, etc. Je cible des situations. Les seules exclusions concernent les personnes liées à des trafics ou des malversations.
“Par ailleurs, je relève qu’expulsions ou coupures d’énergie peuvent entraîner des conséquences au-delà de la famille.
– C’est-à-dire ?
– Je vais vous donner l’exemple d’une personne chez qui l’électricité avait été coupée. En voulant s’éclairer avec une bougie, ce locataire a mis le feu à son matelas. Les conséquences auraient pu être terribles pour cette famille, et pour ses voisins. Un maire ne peut accepter que l’on fasse courir un tel risque à ses concitoyens.
“L’expulsion constitue aussi un trouble à l’ordre public, dans la mesure où l’on a vu des situations dégénérer. Je citerai deux cas. Celui d’un homme qui a mis fin à ses jours en mars 2009 à Strasbourg. Avant de se suicider, il avait menacé de faire exploser l’agence de son bailleur. Le second exemple s’est produit à Nice, en septembre 2010 : une femme de 79 ans est morte d’une crise cardiaque pendant son expulsion.
– Vous pointez donc du doigt les conséquences psychologiques de ces expulsions.
– Une expulsion n’est jamais anodine. Le recours à la force publique, l’hébergement d’urgence sont des traumatismes : on perd son “chez soi”, sa vie ! Un logement, c’est structurant.
– Quelle est la situation à Vénissieux ?
– Les voyants sont au rouge. En 2010, les assignations au tribunal ont augmenté de 26 %. En revanche, le concours de la force publique a été moins été sollicité : c’est une preuve du travail social que nous effectuons, avec les bailleurs et les associations.
Entre 2008 et 2009, les attributions d’aides sociales à Vénissieux ont augmenté de 20 %. Et de 10% entre 2009 et 2010. Toutes les associations caritatives constatent aussi une forte hausse de leur fréquentation, entre 12 et 20 %.
Dans le travail en amont que nous effectuons, je pointe un grand absent : l’État, alors que le logement est une de ses missions régaliennes. Et cela fait partie d’un désengagement général : formation professionnelle, insertion et logement forment un tout. Un Français sur 4 gagne moins de 750 euros par mois. Des milliers de familles font des choix cornéliens tous les jours : se nourrir ou se loger, se soigner ou se chauffer. Le moindre accident de la vie devient extrêmement problématique.
– Vous avez très vite évoqué le tribunal administratif. Auriez-vous peu d’espoir de ne pas y être à nouveau convoquée ?
– Oui, systématiquement, nous nous retrouvons au tribunal. Je ne crois pas qu’il y ait eu un seul arrêté qui n’y ait pas été déféré. Ils sont en principe suspendus, puis jugés sur le fond.
– Pour cette raison, certains doutent de l’utilité de ces arrêtés municipaux. Que leur répondez-vous ?
– Que le rôle d’un maire, c’est d’expliquer ce que sa commune et ses habitants vivent. Qu’il est de demander à l’État de reprendre véritablement la main sur ces questions de logement. Prendre ces arrêtés, c’est utiliser un espace juridique pour interpeller la préfecture -donc l’État- et lui rappeler son rôle. Je ne me tairai jamais. Se taire, c’est consentir.
Le jour où quelqu’un se suicidera devant son appartement, qui devra faire face ? Qui sera là ? Ce ne sera pas le préfet, mais bien le maire ! Pourquoi aurais-je l’obligation d’être le pompier de service sans avoir le droit de prendre les précautions qui s’imposent ? Voilà pourquoi cela relève de la responsabilité d’un maire.
– Beaucoup d’associations demandent la mise en place d’un moratoire sur les expulsions locatives. Etes-vous d’accord ?
– Il faudrait d’abord un Service public du logement. Les loyers, même dans le logement social, sont beaucoup trop élevés. Le moratoire, sur le principe politique, oui, sauf pour ceux qui sont concernés par les trafics. Mais ces cas sont infimes.
– L’argument du gouvernement, qui estime qu’un tel moratoire provoquerait une tension sur le marché locatif, ne vous paraît donc pas valable ?
– Non. Le moratoire, il faudrait le travailler : sur le prix des loyers, sur les revenus des gens, le chômage, l’insertion. Tout une réflexion devrait être engagée, avec de nombreux partenaires.
La vérité des chiffres
– 250 : c’est le nombre de familles vénissianes assignées au tribunal pour rupture de bail en 2010.
– Le concours de la force publique a été demandé dans 117 cas.
– Si 69 familles ont pu trouver un arrangement avec le bailleur, 48 expulsions ont été programmées, dont 12 dans le secteur privé.
– Sur les 48 expulsions programmées, 25 concernaient des hommes seuls et 17 des femmes seules.
– 33 ont été effectuées. Dans 13 cas, les occupants avaient quitté les lieux.
– Dans le Rhône, 3 800 ménages ont fait l’an dernier l’objet de procédures d’expulsions. 250 se sont retrouvés à la rue, sans solution de remplacement.
– Un sur six : c’est le nombre de Français en situation de logement précaire.
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