Je n’ai pas demandé à Caroline Nataieff si, comme dans un poème d’Aragon, elle croyait au ciel ou si elle n’y croyait pas. Une chose est sûre, c’est qu’à 16 ans, lorsqu’elle publie ses premiers textes, elle croit qu’elle pourra un jour, en y mettant du sien, obtenir le Goncourt. Son père, qui était “un peu farfelu, artiste lui-même”, y croyait dur lui aussi. Un de ceux-là paraît dans L’Huma (“parce que mon père était communiste et que tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes”).
Les années ont passé, Caroline a continué à écrire pour elle et pour le plaisir. Elle a publié un premier roman sur les relations d’une fille et de son père (“Du sable plein les yeux », Aléas, 1997), des textes dans des revues et plusieurs recueils de poésies. Elle vient de sortir le récit de ses aventures poétiques et théâtrales au Carré 30, dont elle est la fondatrice à Lyon avec Alain Deppe (“Carré 30, la mi-temps”) et prépare un roman de science-fiction. Et ne croit plus du tout au Goncourt, surtout pas par amertume. “La vie a fait que j’ai été obligée de travailler et j’y ai pris du plaisir. Je n’ai pas le regret d’une carrière littéraire.”
Caroline est une dilettante, qui « n’envisage les choses que du point de vue du plaisir esthétique”, selon la définition du dictionnaire. Elle a toujours fait ce qui lui plaisait au moment où ça lui plaisait. Une autre anecdote : “Avec des amies parisiennes, dans les années quatre-vingt, on avait écrit une pièce que j’ai jouée à la grande époque des cafés-théâtres, à La souris papivore, en plein quartier du Marais. J’avais pris un congé pour faire l’artiste à Paris. Au bout de trois ou quatre semaines, je me suis ennuyée et je suis retournée au boulot. J’adore écrire, j’adore répéter et monter sur scène. Le premier soir, c’est pas terrible. Les deuxième et troisième soirs, c’est super. Le 4e, je m’emmerde !” Ce qui ne l’empêche pas de recommencer. Parce qu’elle est ainsi : elle ne cherche pas à faire carrière.
Dans sa maison vénissiane du Monery (elle vit à Vénissieux depuis 25 ans), Caroline Nataieff raconte sa vie. Elle est née Caroline Nataf, à Sousse, en Tunisie. “Mon père a été l’un des fondateurs du parti communiste tunisien dans la clandestinité. Ma famille est ensuite venue en France quand j’avais dix ans.” Si elle prend le patronyme artistique de Nataieff, c’est parce que sa mère est d’origine slave et qu’“un concours de circonstances m’a fait transformer mon nom”.
Pendant que Caroline Nataieff publie à son rythme, Caroline Nataf travaille comme éducatrice spécialisée à l’Adapei, fait partie de l’équipe fondatrice du foyer L’étape à Vénissieux, poursuit en parallèle des études de psychologie, obtient son doctorat avec une thèse sur les relations entre la mère et son enfant aveugle, jongle avec trois foyers en même temps (L’étape, Les châtaigniers à Saint-Priest et Henri-Thomas à Bron), etc. Aujourd’hui, en tant que psychologue-psychothérapeute, elle est spécialisée dans l’hypnose éricksonienne. “Avec l’hypnose, explique-t-elle en riant, j’endormirais un régiment de majorettes” puis, plus sérieusement : “L’hypnose éricksonienne est une méthode de thérapie brève. J’ai fait un stage avec Carole Erickson, la fille du psychiatre, et me suis intéressée à l’école de Palo Alto de Bateson. On ne peut pas rester couchée avec Freud toute sa vie ! La psychanalyse n’est pas soignante, sauf pour les gens pas malades. C’est long, cher et pas efficace. L’idée d’Erickson est que la personne qui vient consulter le psychologue en sait plus sur lui-même. On ne travaille pas les pourquoi : ce n’est parce qu’on sait pourquoi on a mal aux dents que le mal cesse.”
Le Carré 30 et Jean Genet
Et Caroline Nataieff, pendant tout ce temps ? Elle se passionne de plus en plus pour les arts, la poésie. “Elle est dans la ville, accessible à tous”, proclame-t-elle. Mais où toucher les gens ? “On a dit du Baudelaire, du Musset dans les cantines à RVI et ils s’arrêtaient de manger, la fourchette à la main.”
Elle fréquente aussi les apéritifs poétiques d’Yve Bressande, qu’elle connaît par ailleurs comme éducateur. ils se déroulent alors au Théâtre des Trente (rue Pizay à Lyon), dont la fermeture est annoncée. Dans “Carré 30, la mi-temps”, Caroline raconte comment, en découvrant le lieu, elle s’est dit qu’un jour il serait à elle. Michel Pruner, qui le gère, lui en propose la direction. Avec un groupe d’amis, elle accepte ce pari. Cela fait quinze ans que Caroline préside l’association dont dépend le Théâtre des Trente, devenu le Carré 30. Quinze ans moins une parenthèse de six ans où elle a cédé la direction à Angela Sauvage. “En 2008, reprend Caroline Nataieff, j’ai repris la présidence avec plaisir.”
Quand elle se penche sur ces quinze années, les souvenirs se bousculent. Elle remercie tous ceux qui lui ont donné un sacré coup de main, à commencer par Alain Deppe, Vénissian lui aussi, et Jacques-Yves Henry. Elle parle des cafés philosophiques, les premiers à Lyon, suivis par les cafés poétiques, littéraires, psy, etc. Et évoque les projets : “À l’occasion du centenaire de la naissance de Jean Genet (NDA : en décembre 2010), je voulais qu’on programme un spectacle sur cet auteur. Mais que pouvait-on monter au Carré 30 ? Je suis un peu comme la petite poule rousse de la comptine. Elle demande “qui veut faire ci ? Qui veut faire ça ?” Ce sera moi, dit la petite poule rousse. J’ai écrit un spectacle en mêlant des extraits des textes de Genet, dans lequel je raconte sa vie de taulard jusqu’à sa consécration en 1951, à l’époque où il est publié par Gallimard. Avant, il l’avait été par un éditeur lyonnais, Marc Barbezat, à L’Arbalète.”
Cet hommage, “Mais la beauté, seigneur, toujours je l’ai servie”, sera joué du 3 au 6 février 2011 au Carré 30.
Pour se procurer “Carré 30, la mi-temps”, contacter Caroline Nataieff au 06 77 77 00 08.