Inespérée, exceptionnelle et historique. Les adjectifs pour qualifier la décision prise le tribunal de Prud’hommes de Lyon ne manquent pas. Rapide rappel des faits : en janvier 2009, les 110 salariés de l’usine Saint-Jean Industries de Vénissieux se mettent en grève, contre la fermeture de leur usine. Raison invoquée par la direction : Renault Trucks se tournant vers l’Inde pour la production de certaines pièces et représentant plus de 57 % du chiffre d’affaire, le site des anciennes fonderies Duranton-Sicfond n’est plus viable. Après des semaines de lutte pour conserver leur outil de travail, la liquidation judiciaire de l’entreprise est prononcée.
Persuadés d’avoir été piégés par Émile Di Serio, le PD-G du groupe, une trentaine de salariés décident alors de saisir les Prud’hommes. Un an et demi plus tard, la décision est tombée : le caractère “sans cause réelle et sérieuse” de ces licenciements est reconnu par les juges du travail, ouvrant la voie à une indemnisation financière. Les juges indiquent que “le P-DG de Saint-Jean Industries s’est servi du personnel, victime d’une véritable manipulation, pour faire pression en vue d’obtenir une hausse de ses prix de vente auprès du groupe Renault Trucks.” Une décision prise à l’unanimité des quatre conseillers, représentants des salariés comme du patronat.
“C’est une décision exceptionnelle, qui fait chaud au cœur, se réjouit Laurette Joulié, qui était la secrétaire du CE de l’entreprise. Les juges ont parfaitement compris ce qui s’était passé entre la fin de l’année 2008 et la liquidation de l’entreprise. Ils ont complètement vu le jeu joué par Émile Di Serio, la façon dont il a manipulé tout le monde. Pour nous, anciens salariés de l’entreprise, c’est une vraie reconnaissance, un peu inattendue lorsque l’on repense au mémoire terrible, insultant, qu’avait rendu l’inspection du travail il y a un an.”
La direction régionale du travail avait en effet publié un rapport accablant pour le personnel de Saint-Jean Industries, quelques semaines avant le procès. “Il apparaît que ce sont les représentants du personnel eux-mêmes et les salariés qui ont précipité la cessation des relations commerciales avec Renault Trucks, qu’ils ont par leur attitude dictée par la cupidité précipité la liquidation judiciaire de la société (…), sur fond de crise économique mondiale dans le secteur de l’automobile, avait écrit cette institution chargée de veiller à la bonne application du droit du travail au sein des entreprises. À partir de fin 2008 et début 2009, les formes de conflits opposant les salariés à leur direction se sont durcies : blocage des productions, menaces d’attentat contre les entreprises…”
Contre ce jugement des Prud’hommes, le mandataire-liquidateur a engagé une procédure devant la Cour d’appel de Lyon. En parallèle, un procès équivalent se jouera devant le Tribunal administratif : les délégués et représentants du personnel devront également prouver que leur licenciement était “sans cause réelle et sérieuse”. “Nous n’avons pas encore de date pour ce jugement, précise Laurette Joulié. Mais celui rendu par le conseil de Prud’hommes nous a redonné confiance.”
Notons également qu’à la suite de cette décision des Prund’hommes, le député de la circonscription, André Gerin, a écrit au ministre Eric Woerth. Il lui demande « pour des raisons de justice et d’équité » le retrait du mémoire rédigé par l’administration du travail, puisqu’il « dénature les faits en occultant le comportement patronal et la manipulation dont ont été victimes les salariés ».