Ces dernières, Oleg les connaît bien, lui qui a ouvert, depuis trois ans avec Caroline, une boutique avenue Francis-de-Pressensé (Oleg Art), dans laquelle il propose peintures et vernis de sol mais aussi des conseils en design intérieur et extérieur.Fils d’un désigner “qui a donné des cours d’arts plastiques et de dessin technique à l’école d’art toute sa vie”, Oleg a suivi les traces de son père. “J’ai commencé mes études chez lui. À cette époque, nous étions encore sous Brejnev, la formation se déroulait ainsi : à l’âge de 6-7 ans, on entrait à l’école primaire pendant huit ans. Puis, on faisait deux ans de secondaire. Quand j’ai réussi ma 8e année, mon père m’a demandé si je voulais continuer l’école ou trouver une profession. Et lui, que me conseillait-il? Il m’a répondu : “Si tu fais l’école des Beaux- Arts, c’est la base pour toute profession. Le dessin sert aux études d’ingénieur, à l’industrie textile, même aux cuisiniers.” J’ai donc passé le concours d’en- trée. Mon père m’a toujours poussé à travailler. Avec lui, j’ai peint des kilomètres carrés de fresques sur les plafonds et les murs.”
Oleg vit avec ses parents à Toula, la patrie de Tolstoï, à 200 km au sud de Moscou. “C’est une ville un peu plus grande que Lyon, plus ancienne que Moscou, où l’industrie lourde métallurgique a démarré. Mon père m’a envoyé faire quatre ans d’études à 800 km de ma maison, à Penza, où enseignaient les meilleurs profs et où Tatline, l’auteur de la tour, a étudié. J’ai appris à être autonome.”
En 1986, Oleg obtient un diplôme de professeur d’arts plastiques et de dessin technique. Comme il doit deux ans à l’État (il a été boursier), il enseigne le dessin technique. “J’ai travaillé pendant cinq ans et demi comme prof avant de reprendre cinq ans d’études à l’université pédagogique de Moscou, filière Beaux-Arts. Quand j’ai commencé à enseigner, j’étais bien payé pour un jeune. J’avais un salaire correspondant à celui d’un ingénieur. Après, ça a baissé et j’ai repris le métier de mon père, la décoration, qui était mieux payé. C’était l’époque de Gorbatchev. Les magasins étaient vides et, pour acheter du lait, il fallait se réveiller à 6 heures du matin et faire la queue pendant une heure et demie. Vu du côté occidental, Gorbatchev est le symbole d’une grande ouverture. Du côté russe, on l’a perçu d’une manière plus négative. Il a supprimé les économies des retraités, des personnes ordinaires. Il n’a pas su gérer ce qu’il a mis en marche et le pays est tombé dans l’anarchie, puis le capitalisme. Sous Brejnev, le pays était fermé. Le système écrasait les libertés mais donnait un bon niveau de formation gratuite car les écoles de l’époque communiste étaient de qualité.”
Oleg obtient un second diplôme et trouve un poste de designer dans une grande entreprise pétrolifère russe. “Au départ, je faisais des maquettes en mousse, à l’ancienne. Des stations-services, des bâtiments administratifs et des bases pour le pétrole ont été construits d’après mes projets.”
C’est à cette époque que l’infographie commence à émerger. Et, tout naturellement, Oleg s’y intéresse. Son CV s’étoffe à tel point qu’on a du mal à s’y retrouver. Il travaille comme concepteur dans un bureau d’architecte: “J’ai dessiné une station de ski, avec plusieurs points de vue. C’est celle où Poutine a skié. Le bureau d’architecte a étudié comment la construire.”
Trois maisons d’édition lui demandent d’être leur directeur artistique. Il montre plusieurs exemplaires de l’une des revues qu’il a entièrement conçues, “Modern” : les couvertures sur papier glacé sont raffinées, avec des sources d’inspirations cherchées du côté de Mucha. Grand connaisseur d’art, Oleg cite également Gaudi ou Le Corbusier : leurs œuvres continuent de l’étonner et de l’émerveiller.
Désireux d’apprendre le français, Oleg lit Stendhal dans le texte et débarque en France, où il s’inscrit à Lyon 2. Il y est à la fois prof et étudiant : tout en donnant des cours, il obtient un master de science économique et de gestion, mention informatique, spécialité intégration multimédia.
Depuis trois ans à Vénissieux, à la tête d’Oleg Art, il dessine l’architecture intérieure d’appartements ou de villas. “Quand je vais chez un client, explique-t-il, je commence par une excursion des lieux. Je regarde la pièce pendant que les gens m’expliquent ce qu’ils veulent. Je touche les murs, je tape les cloisons, je commence à absorber tout ce que la maison me dit et j’écoute beaucoup : comment ils veulent vivre, ce qu’ils attendent. J’essaie de sentir l’espace et je me vois comme l’enfant psychologue qui prendrait la maison par la main. L’état des lieux me donne des idées et je peux me réveiller à 3 heures du matin pour faire un croquis et me rendormir. Ça vient comme un flash. Ensuite, je dessine directement en 3D, sans dessin technique. Je suis comme un sculpteur qui met directement les mains dans la glaise et qui ne dessine pas tous les détails de son travail.”