Âgés de deux mois et demi à trois ans, 1 500 enfants sont accueillis dans les crèches municipales de Vénissieux. Puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture ou titulaires du CAP petite enfance… des professionnels veillent au bien-être de ce petit monde. Mais un décret gouvernemental sème la révolte : pour compenser le manque de places en crèche, il favorise notamment l’accueil d’enfants en surnombre. Les professionnels sont en alerte. Une nouvelle grève nationale est prévue le 6 mai.
9 heures, ce jeudi à la crèche Berlingot. Clémence est en larmes. Nathan, 2 ans, vient de lui prendre le jeu avec lequel elle s’occupait. Marjolaine, élève auxiliaire de puériculture, la prend dans ses bras, lui glisse quelques mots à l’oreille. La blondinette sourit, blottie contre la jeune fille. Le calme revient. Clémence s’éloigne de l’atrium pour aller rejoindre Vanessa, éducatrice de jeunes enfants, qui propose une activité peinture à un groupe de quatre tout-petits. Nathan ravi, fait preuve d’imagination. Il peint autant avec ses mains qu’avec les pinceaux ! Clémence s’applique avec les tampons, Livia et Clelya cherchent à comprendre le maniement du rouleau. Vanessa écoute les enfants, répond à leurs questions, les guide dans leur apprentissage. Dans un moment, les enfants vont aller se laver les mains et la figure, retirer leur tablier… Les voilà partis vers d’autres aventures.
Pendant ce temps, dans une autre salle, le petit Mehdi fait découvrir à ses copains un livre qu’il a apporté de la maison. Le dialogue s’installe entre Marjolaine et les enfants : “Comment fait le grand-duc ? Et là, que fait la grenouille ?” “Elle mange une mouche”, répond Anatole. “Et le pic-vert, où est-il ?” Nathan se lève et donne fièrement la bonne réponse. Un peu plus loin Jeanine, auxiliaire de puériculture, propose d’autres activités.
Il est un peu moins de 10 heures quand un papa arrive avec son fils. “Je travaille l’après-midi, raconte-t-il. Thibald dormait bien, j’ai attendu qu’il se réveille.”
Subitement Mahé trouve le temps long. Et demande où est sa maman. “Tu sais bien que tu restes avec nous jusqu’à ce soir. Maman est au travail, elle reviendra te chercher. Ne t’inquiète pas.” Rassurée, la fillette repart aussitôt jouer.
Et puis il y a Adonis, un bébé qui est à Berlingot pour quelques heures seulement. Le congé de maternité de maman est bientôt terminé, bébé doit apprendre à la quitter plus longtemps. Pour la maman aussi, reprendre le travail et laisser Adonis n’est pas facile. Ce temps d’intégration est important aussi bien pour l’enfant que pour les parents. L’équipe de la crèche doit prendre du temps pour et avec eux.
Déjà 11 heures. Des mamans ou des nounous commencent à arriver pour reprendre certains enfants, d’autres vont déjeuner sur place. “Nous devons être deux à l’accueil avec les enfants qui partent ; deux autres s’occupent de ceux qui restent.” Dans le petit dortoir, deux fillettes se sont endormies. “Nous allons attendre qu’elles se réveillent pour les faire déjeuner.” Le rythme de l’enfant est respecté.
On ne fait pas de rentabilité
Le personnel s’active. Auxiliaires de puériculture, éducatrices de jeunes enfants observent, écoutent, s’adaptent. Aucune seconde n’est perdue.
“C’est ça la crèche, précise Christine Mey, la directrice de Berlingot. C’est répondre aux attentes des parents et être à l’écoute de l’enfant.” Ce qui fait la qualité de l’accueil ? “La formation du personnel, l’aménagement des locaux, le choix du matériel éducatif… Dans une crèche, tout a un sens.”
C’est pourquoi le décret – en cours d’examen par le Conseil d’État – sur l’accueil collectif des jeunes enfants ne passe pas. Entre autres mesures, il programme l’assouplissement des règles d’encadrement autorisant par là l’accueil d’enfants en surnombre. Contre cette mauvaise réponse à de vrais problèmes de places en crèche, un collectif national s’est monté, appelé “Pas de bébés à la consigne”. Tant il est vrai qu’un enfant ne se pose pas dans une crèche comme une valise.
“Avec les normes actuelles, on est déjà à la limite, insiste Christine Mey. Le taux d’encadrement est de 1 adulte pour 5 bébés. L’application du décret ferait passer le rapport de 1 à 7. Concernant les enfants qui marchent, ce rapport passerait de 1 adulte pour 7 enfants à 1 pour 9. Avoir moins de personnels pour plus d’enfants ? Ce sera mission impossible !”
Dans un courrier en date du 30 mars qu’elle a adressé à toutes les directions de crèches, Mme Morano, la secrétaire d’État à la Famille veut rassurer et affirme que la réforme vise à “accroître la qualité et la sécurité de l’accueil”. Christine Mey est sceptique : “Je ne sais pas comment elle a pu conclure ça… À Berlingot, nous avons six postes et demi pour 20 enfants (on peut aller jusqu’à 22) sans compter la cuisinière-lingère et la directrice. La crèche est ouverte de 7 h 30 à 18 h 15 : cela représente 10 h 45 d’amplitude, pendant lesquelles les professionnels se relaient. On tourne normalement, quand on n’a pas de personnel malade. Mais la situation devient vite problématique quand un membre de l’équipe est absent. Alors, imaginez si on avait plus d’enfants. Nous, on ne fait pas de rentabilité.”
Alerte générale : « On brade la petite enfance »
À l’appel du collectif “Pas de bébés à la consigne”, les professionnels de la petite enfance ont fait grève à deux reprises depuis le début de l’année. Un nouvel appel à la grève générale est lancé pour le 6 mai. Cause de leur mécontentement : un décret gouvernemental qui, notamment, assouplira les règles d’accueil dans les crèches au détriment de sa qualité.
“Nadine Morano, secrétaire d’État à la famille, veut créer plus de places en crèche sans ouvrir de nouvelles structures ni augmenter le budget. En pratique, on va appliquer le surbooking. Comme dans les avions, pour optimiser la place !”, résume Christophe Harnois, membre du collectif. Le texte permet en effet d’augmenter le taux de remplissage des crèches qui pourront accueillir certains jours 20 % d’enfants en plus (contre une limite maximale de 10 % aujourd’hui). Il ouvre également la porte à la réduction du nombre de personnels qualifiés.
Des dispositions dont s’indignent Danièle Gicquel, adjointe au maire de Vénissieux en charge des secteurs petite enfance, hygiène et santé publique, et Victorine Margerit, coordinatrice petite enfance et enfance à la Ville.
Mme Margerit connaît bien le monde de la petite enfance, où elle travaille depuis plus de trente ans. Pour elle, ce décret consacre “un vaste retour en arrière. La société d’aujourd’hui n’est plus celle des années quatre-vingts : entre le travail à temps partiel, les congés parentaux des mamans, le chômage, il y a bien longtemps que nous avons su adapter le fonctionnement des crèches. Mais augmenter le nombre de places sans créer ni équipements ni postes supplémentaires ? Ce serait irresponsable.”
Aujourd’hui, la loi fait obligation d’avoir dans les crèches au moins 50 % de professionnels qualifiés. Mais le décret autoriserait désormais l’emploi de 60 % de personnels de niveau CAP-BEP, moins qualifiés. De même, jusqu’à présent, un non diplômé n’a pas le droit d’être seul avec un enfant. “En fait, déplore Mme Margerit, le bébé redevient secondaire. On néglige l’éducatif précoce et tout le travail que nous faisons en amont avec les parents.”
Même inquiétude avec le projet de loi instituant des Maisons d’assistantes maternelles (MAM), qui sera discuté ce 29 avril à l’Assemblée nationale : quatre assistantes maternelles pourraient se regrouper dans un local, sans garantie que soient appliquées les règles de base des structures collectives. “À Vénissieux, une quinzaine de demandes de MAM nous ont déjà été adressées, précise Danièle Gicquel. Nous les avons toutes rejetées. On ne sait pas comment les enfants y seraient accueillis. Ce décret est une immense braderie de la petite enfance.”
Nadine Morano avait aussi lancé en septembre dernier des “jardins d’éveil” payants pour accueillir les 2-3 ans, ce qui, entre autres, permettrait de retarder l’entrée des enfants à l’école maternelle et ainsi de supprimer des postes dans l’Éducation nationale. Ces jardins d’éveil ne seraient plus à l’ordre du jour. Mais les professionnels se disent vigilants.
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