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La guéguerre de 100 ans

Vénissieux et Bron se sont chamaillées durant une guerre de voisinage qui dura tout le XVIIe siècle et dont le vainqueur fut…

En 1913 l’écrivain Louis Pergaud dressait la bande à Tigibus et à Lebraque contre celle de L’Aztec et de Migue La Lune. À coups de lance-pierres et de batailles à cris d’indiens, les gones de Longeverne poursuivaient le combat mené depuis des générations contre les mioches des Velrans. Du roman ? Oui, mais en même temps très proche de la réalité. En cherchant dans vos souvenirs, vous trouverez forcément une blague un peu méchante contre nos voisins Belges, Suisses, Ardéchois ou Savoyards – qui ne se privent pas pour en faire autant à nos dépends. Ces douceurs mutuelles sont les derniers vestiges de très anciens conflits, où le voisin apparaissait comme l’ennemi de toujours. Chaque pays avait le sien et chaque village aussi. À Vénissieux, les Velrans de service étaient les Brondillants. Il faut dire qu’ils l’avaient bien cherché !

La hache de guerre est déterrée en 1612. Cette année-là le seigneur de Bron, noble Gaspard de Laube, conteste subitement la propriété vénissiane sur les bois de Parilly. Sous prétexte qu’ils se situent sur la commune de Bron et non sur Vénissieux, il prétend que ces bois communaux font partie de ses biens familiaux. Quel culot ! Le bougre sait pourtant bien que les Vénissians s’en sont toujours servi “non seulement depuis des quarante et cinquancte ans mais despuis un sy long temps quil n’est memoire dhomme au contraire”. À preuve, ces vieux papiers de 1497 sur lesquels il est clairement écrit que chaque famille du village a droit d’y mener paître son bétail et de couper du bois autant qu’elle le veut. Mais monsieur de Bron en a décidé autrement. Les 180 bicherées communales – soit 45 hectares quand même, sont à lui et il n’y a point à discuter. Pour bien affirmer ses droits, il envoie un géomètre dresser le plan des lieux et fait monter la garde par ses gens. Gare aux intrus, s’ils s’avisent à nouveau à “dépeupler ledict bois et a y mener paistre leur bestail”, ou s’ils jactent encore “davoir droict de prendre ledict bois”. Au village, personne n’est dupe du coup de force seigneurial. Les communaux vénissians ont le grand tort de jouxter les parcelles de Gaspard de Laube ; s’ils tombent dans son escarcelle, ils l’aideront à dépasser sa condition sociale de petit noble provincial. En plus, la période s’avère favorable pour dépouiller les paysans ; après 37 ans de guerres entre catholiques et protestants, les caisses de leur commune ne contiennent plus un sou mais seulement des montagnes de dettes. Ces croquants ne risquent donc point de s’offrir un avocat pour défendre leurs biens.

De Laube a raison sur un point, les Vénissians n’ont pas les moyens de se pourvoir en justice. Il leur reste néanmoins l’arme du pauvre : faire comme si de rien n’était. Ils jouent de la hache de plus belle et mènent veaux, vaches et moutons chez le seigneur de Bron sitôt qu’il a le dos tourné. De vraies têtes de mules, pire que Lebraque et Tigibus ! Le retour de bâton ne se fait pas attendre. Pour avoir coupé des arbres et conduit son troupeau “en Parillier”, Claude Curtil est “mené prisonnier aveq son bestail au chasteau de Bron et son procès criminel auroit esté tout instruit”. L’histoire ne dit pas si ce Vénissian partagea son cachot avec ses moutons, ou s’ils firent chambre séparée. Quoi qu’il en soit, le seigneur de Bron joue sur du velours puisque la cour de justice devant laquelle il traîne le pauvre Claude Curtil n’est autre que la sienne. Un peu plus tard, en novembre 1612, c’est au tour de Claude Comte dit Bot, “affaneur et garde de la vacherie de Vénissieux” – autrement dit le berger communal, de se faire attraper. Trois employés du seigneur, dont sa servante Claudine Pillioud, le rossent copieusement et le jettent dans les geôles brondillantes. Sauf que cette fois le berger malmené porte plainte “pour les violences faites par ledict sieur de Laube” et rameute tous les Vénissians dont il gardait les vaches et qui apprécient très modérément de savoir leurs Blanchette, Roussette et autres Pâquerette embastillées à Bron. L’affaire s’envenime et vire à la guerre entre villages. La justice préfère botter en touche. Arguant du fait que “la personne du vacher de la communauté dudict Venissy fut pris environ 1000 pas dans le mandement [le territoire] dudict Venissy”, elle ordonne de relâcher le bouvier et ses vaches.

Les décennies suivantes sont émaillées d’anicroches perpétuelles entre Vénissians et Brondillants, aucune des parties ne cédant sur le fond de l’affaire. Le comble de la rouerie est atteint en 1655, lorsque dans son nouveau cadastre la commune de Bron attribue les parcelles disputées à Vénissieux : “La communauté de Vénissieux tient un bois et hermage a elle commun, joignant le bois de noble Philibert de Laube, contenant 176 bicherées dont une partie dans les balmes et une partie sur le coteau aride” ; et plus loin, “la communauté de Vénissieux tient une terre et hermage en coteau, jouxte le chemin de Vénissieux a Parilly du levant, chemin de Saint-Priest a Lyon du vent [sud], contenant 4 bicherées”. Fourbes mais pas fous, les Brondillants ont compris que s’ils attribuaient les bois de Parilly à leur seigneur, aucun impôt ne serait prélevé dessus, ce qui alourdirait d’autant la charge fiscale reposant sur leurs épaules. Tandis que s’ils déclarent les roturiers vénissians propriétaires des bois, leurs chers ennemis payeront l’impôt, ce qui soulagera l’ardoise brondillante. En somme, ils tentent d’avoir le beurre et l’argent du beurre ! Bien sûr, ce petit jeu d’écriture pourrait fournir des arguments de choix à leurs voisins. Qu’à cela ne tienne, il suffit de leur interdire l’accès aux archives de Bron et le tour est joué…

Une nouvelle offensive intervient en 1673 lorsque Françoise de Courtine, veuve de Philibert de Laube et seigneur du quartier brondillant des Essards, entame un ixième procès en prétendant que les bois de Parilly appartiennent à sa famille depuis plusieurs générations. Cette fois les Vénissians changent de tactique de défense. Au lieu de titiller la dame au sang bleu et de finir dans ses cachots, ils remettent en cause son titre de seigneur : “la maison des Essards n’est qu’une simple maison, un domaine et non un fief. Ainsi même si Madame prend la qualité de dame des Essards et qu’elle parle des seigneurs des Essards, il n’y en a jamais heu. Elle n’a fait qu’acheter deux ou trois parcelles à des particuliers ce qui ne lui donne pas des droits sur tous les bois”. Vénissieux la rebelle, toujours semblable à elle-même. L’affaire monte un à un tous les échelons de la justice d’Ancien Régime. Elle s’achève enfin, entre 1679 et le début du xviiie siècle, par une victoire vénissiane. La guerre de cent ans entre Bron et Vénissieux était terminée. Au moins celle entre les parents.

Sources : Archives départementales du Rhône, Es 215.

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